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de M. Willette, en se jetant au cou du général Joffre. C’est que le vieil homme de guerre lui apporte une statuette dorée, au soir d’une journée d’orage. Et cette statuette est celle de la Victoire avec les ailes, et elle semble être sortie des volutes de fumée d’un 75, et la cantinière a le bonnet de la République, et l’arc-en-ciel est aux couleurs de la France...

Le symboliste ému qu’a toujours été M. Willette, du temps où il conduisait la farandole de ses pierrots sous les moulins et la lune de Montmartre, a trouvé encore une très belle image pour figurer ce que la France doit à son armée. Elle parut en 1914 et elle s’appelait Les Semailles. Dans un vaste champ d’automne, un paysan demi-soldat pousse la charrue, tandis que la femme, tenant un poupon, d’un bras, guide de l’autre les bœufs lourds, attentifs à suivre la gaule, Du haut du ciel, un aigle immense, aux ailes écartelées, va fondre sur l’attelage, et son ombre déchiquetée blasonne déjà la morne plaine. C’est une aigle héraldique : sa tête est coiffée de la couronne impériale, elle tient dans une de ses serres non pas un globe, mais une bombe ; dans l’autre, non pas un sceptre, mais un poignard. Mais elle ne fera pas de mal. Un guerrier antique, coiffé du bonnet phrygien, un géant, couvert de son bouclier, le glaive en main, veille sur l’humble attelage... Et le sillon commencé s’achève.

Toutefois, nos humoristes ne se sont pas occupés que de nous-mêmes. Ils se sont aussi, un peu, occupés de l’ennemi. Ils ont vite découvert son point faible. Le point faible du Teuton, c’est sa prétention à l’humanité, à la propreté morale, à la « culture. » S’il ne l’avait pas, la raillerie ne saurait où le mordre, mais il l’a, et très forte. Aussi, tout ce qui marquera le désaccord énorme entre cette prétention et ses actes portera. C’est la vertu de cet admirable dessin de M. Forain, digne d’être retenu par l’histoire, gravé sur l’Arc d’Infamie par où passeront, éternellement, les ombres des assassins de Miss Cavell. Une voiture d’ambulance est embourbée, sur le champ de bataille, par une journée grise d’hiver, et le conducteur s’efforce de la redresser. Le vent fait flotter sa Croix-Rouge sur fond blanc, au-dessus de la plaine nue et morne. « Cache donc ton drapeau ! Tu vas te faire tuer ! » crie une sentinelle, qui connaît les mœurs de l’ennemi. Raillerie des prétentions allemandes à la civilisation, raillerie aussi, peut-être, de cette naïveté