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fait son œuvre. Mais la brutalité triomphante ne l’est point.

En fait, nos maîtres de la caricature ont produit des planches excellentes sur la guerre ; mais, si l’on y prend garde, les meilleures ne sont pas sur les Allemands : elles sont sur nous-mêmes. La plus célèbre de toutes : Pourvu qu’ils tiennent ! — Qui ça ? — Les Civils, figurée par deux « poilus » exposés aux balles, au froid, à la faim dans les tranchées, n’est point destinée à ridiculiser l’Ennemi, mais à réconforter ceux qui ne risquent rien, ceux de l’arrière, par la vue de ceux qui, sans se plaindre, risquent tout. Et jamais, aux heures les plus brillantes du Doux Pays, M. Forain n’a été mieux inspiré.

Au même ordre d’idées appartiennent une foule de dessins comme celui de M. Roubille. « Je vous l’achète, votre casque ! » dit un monsieur quelconque, orné d’un brassard où on lit Service-Publicité, en s’adressant à un blessé, décoré de la médaille militaire. Celui-ci a rapporté un casque à pointe et le montre à un groupe de passans dans la rue. « Il n’est pas à vendre, répond le « poilu, » mais je puis vous donner l’adresse du magasin. » Et aussi, cette page excellente de M. Ricardo Florès. Ce sont encore les poilus de M. Forain. Un an a passé : ils sont toujours dans la tranchée, au froid, emmitouflés, le nouveau casque posé sur leur passe-montagne, et lisant le journal. « Ils ne crieraient pas si fort s’ils étaient ici ! » remarque l’un d’eux en fumant sa pipe. Voilà de quoi défrayer bien des mémoires à de savantes académies, si, un jour, les archéologues s’emparent de ce texte obscur. Il y aura bien des discussions pour savoir lequel des corps d’armée allemands, bulgares, turcs, avait coutume, au XXe siècle, de pousser des cris effroyables pour épouvanter l’adversaire. Mais nous, nous savons qu’il ne s’agit pas des Prussiens...

Si les civils, chez nous, en ont pris pour leur grade, les soldats ont été abondamment célébrés par les humoristes., L’heure de la justice a sonné pour eux, en même temps que l’heure du sacrifice. Et l’éloge décerné par un railleur de profession a une saveur que les autres n’ont pas. Il semble arraché, par l’évidence du mérite, à l’esprit critique défaillant sous l’émotion, mais demeurant l’esprit tout de même. En réalité, ceux qui savent le mieux couper sont aussi ceux qui savent le mieux coudre, qu’il s’agisse de réputations ou de dynasties, ou de lauriers. « Merci, père La Victoire ! » s’écrie une cantinière