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de M. de Bethmann-Hollweg, de Bernhardi, de von der Goltz, de Tirpitz, de M. Helfferich, de llindenbourg, du comte Zeppelin, de von Kluck. Ainsi, les actes, — des actes formidables, — précédèrent les visages, et l’Histoire universelle fut faite par des gens dont nous ignorions l’histoire individuelle, les antécédens, les mœurs, les ridicules, les manies ; — bref, tout ce qui peut prêter à l’ironie et à la caricature. « On entendait le pas du cheval, mais sans voir le cavalier. » Dans ces conjonctures, l’ironie ne sait trop où se prendre. Il n’est pas nécessaire de connaître un homme pour lui tirer dessus, mais c’est indispensable pour le caricaturer, pour montrer ses défauts, ou seulement ses caractéristiques. De là, sans doute, le peu de satires mémorables que la guerre inspira, chez nous, contre l’Ennemi.

Une autre raison, tout à l’honneur de nos humoristes, est que beaucoup d’entre eux étaient aux armées. La plupart des journaux satiriques ont dû cesser brusquement leur publication. Le Français, dont c’est le métier d’être spirituel, devint subitement grave et résolu. Les « mots, » s’il en fit, furent entendus seulement de quelques camarades, bons juges de leur à-propos héroïque, et plus d’un les signa de son sang. Lorsque, la guerre se prolongeant, plusieurs purent reprendre leur crayon et les journaux satiriques leur publication, il semble que le désir de se détendre, de distraire, un instant, les yeux et l’esprit des horreurs du massacre, de l’ambulance et des mutilations, l’ait emporté sur le goût de stigmatiser l’envahisseur.

La matière n’était pas, non plus, excellente. La raillerie n’a de prise que sur la faiblesse ou ce qui est faible dans la force, jamais sur la force même. L’odieux est un bloc où l’ironie ne peut mordre. Ce qui prête, parfois, à l’erreur sur ce point, c’est qu’on confond le motif déterminant de l’attaque avec cette attaque même et ses moyens. Il est vrai que souvent des hommes d’esprit ont été déterminés à user de leur arme par l’indignation que leur a causée l’excès de la force. Mais ils ont senti leur arme s’émousser sur du granit, et l’on ne saurait citer un bon trait qui ait porté. Si, parfois, ils ont réussi à pousser leur pointe ironique, c’est que le granit avait un défaut, quelque fissure : par exemple, l’hypocrisie, — c’est-à-dire une faiblesse, ou l’infatuation, — c’est-à-dire une autre faiblesse. Et comme, souvent, en effet, le criminel a de ces faiblesses, qu’il se masque d’hypocrisie ou se drape d’infatuation, il est vulnérable et l’esprit