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à la place des lettres accoutumées : il ne serait pas compris.

Puisqu’il l’est dans son pays, tâchons, nous aussi, de le comprendre et, par là, de comprendre mieux le sentiment populaire dont il est l’expression. Même exagérée, même fugitive, elle a son prix, parce que ce sentiment a sa force. Elle change comme il change, se fixe s’il se fixe, tourne à tous les vents. Il y a peu d’années encore, ce que la caricature, en Allemagne, raillait le plus, c’était le militarisme prussien. C’est le pacifisme qu’elle raille aujourd’hui. C’est donc une girouette. Mais il est bon de consulter les girouettes, — en temps d’orage surtout. Ne dédaignons pas ces légères annonciatrices, si grotesques parfois que soient leurs formes découpées sur le ciel. Regardons les inflexions qu’elles prennent sur nos toits, sur les toits de nos amis, sur les toits de nos adversaires. Elles nous indiqueront les grands souffles qui passent, en ce moment, sur l’Humanité.


I. — CHEZ LES ALLIÉS

La guerre, qui a surpris nos politiques, nos sociologues et nos financiers, a surpris également nos caricaturistes. Leur ironie n’était pas prête. Elle a, d’abord, été étouffée par l’indignation : l’indignation devant la mauvaise foi évidente des prétextes de guerre, la violation de la parole donnée, les cruautés inouïes de la première heure. Et l’indignation, dans son premier spasme, n’a pas d’esprit. Puis, l’événement nous prenait au dépourvu, non pas d’esprit critique, — c’est une vertu qui ne manque guère en France, — mais de notions nécessaires pour l’entretenir. Nous n’étions pourvus d’armes que contre nous-mêmes. Des anecdotes désobligeantes sur nos hommes d’Etat, sur leur passé, sur leurs familles, nous en possédions à revendre, et aussi des portraits si peu flattés que leurs moindres défauts, physiques ou moraux, en faisaient de purs grotesques. Mais, de traits contre l’Ennemi, qui, secrètement, minutieusement et de longue main, venait de perpétrer les moyens de nous assassiner, nous n’en possédions pas. A part le Kaiser, — que la satire, chez nous, a respecté infiniment plus qu’elle n’a fait nos propres hommes d’Etat, — et depuis quelque temps, le Kronprinz, les figures d’outre-Rhin nous étaient totalement inconnues. Ce fut une révélation que celles