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signe ou un « sigle. » Pour qu’il soit employé, il faut qu’il soit compris. La « légende » même est trop courte et trop resserrée pour évoquer ce qui ne serait pas, déjà, dans l’esprit du lecteur. La preuve en est que beaucoup de « légendes » de M. Forain, quoique bien modernes, sont déjà inintelligibles pour ceux qui n’ont pas assisté aux faits qu’elles résument ou qui, y ayant assisté, les ont oubliés. Quel homme d’État désignait chez nous un 7 gigantesque auquel on le figurait pendu ? Quel autre, une ceinture dorée ou trente-six bêtes ? Que voulait dire ce morceau de lard, accroché au chapeau d’un prince ? Autant de signes qui seraient, dès maintenant, pour beaucoup d’entre nous, lettres mortes. Aujourd’hui même, quelle nation désigne le Dindon chez les Anglais, quel parti l’Éléphant chez les Américains ? Lorsque le kangourou bondit dans une image politique, anglo-saxonne, quelle idée et quel pays traine-t-il à sa suite ? Le tigre, à New-York, a une signification complètement inconnue de ce côté de l’eau. C’est tout un langage presque hiéroglyphique à déchiffrer pour nous et cependant très clair pour le premier gamin qui passe dans le Strand ou Broadway.

Il y a donc conformité entre la caricature d’un homme ou d’une chose et l’idée que la foule se fait de cet homme ou de cette chose, du moins lorsque cette caricature circule, se répète, entre dans les habitudes et les moyens d’expression du public. Lorsqu’il s’agit d’un simple accessoire signalétique, cela n’a pas grande importance ; mais s’il s’agit d’un trait moral ou physiologique, ce peut être très révélateur. Du temps de Gillray, c’est-à-dire sous la Révolution et l’Empire, la silhouette d’un homme maigre, efflanqué, mal rasé, sordidement vêtu de loques, dévorant des grenouilles ou jetant sur un roastbeef anglais des regards d’envie, désignait, sans plus de gloses, un Français. Cela ne prouve pas que les Français, à cette époque, fussent hâves et mourans de faim ; mais cela prouve que les Anglais les croyaient tels. Il en va tout autrement d’un livre, un discours, même un article de journal, qui est un développement d’idées et peut ainsi exprimer une thèse tout individuelle, quitte à la développer, à la commenter et à la défendre, si elle ne répond pas, tout de suite, au sentiment moyen du lecteur. La caricature y répond, de toute nécessité. S’en servant en dehors et en dépit de l’assentiment public, le dessinateur ferait comme un écrivain qui emploierait de nouveaux signes