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profondes, suggestives, amères même, de Gavarni et de M. Forain. « Si « humour » voulait dire seulement « rire, » écrivait Thackeray, qui fut, lui aussi, un caricaturiste à ses heures, vous ne prendriez guère plus d’intérêt à l’histoire des écrivains humoristes qu’à la vie du pauvre Arlequin, qui partage avec eux la faculté de faire rire. Si la vie et l’histoire de ces hommes éveillent en vous une curiosité mêlée de sympathie, c’est qu’ils s’adressent à un grand nombre de facultés, outre le sens du ridicule. L’humoriste cherche à éveiller et à diriger votre amour, votre compassion, votre bonté, votre mépris du mensonge, de la prétention, de l’imposture, votre tendresse pour les faibles, pour les pauvres, pour les opprimés, les misérables... » Thackeray, qui ne prévoyait pas la guerre actuelle, explique ainsi pourquoi, sans rien abdiquer des sentimens de tristesse ou d’indignation qu’elle suscite, on a pu la mettre en caricatures.

Ce qu’on découvre, en les regardant, ce ne sont point des faits, comme dans les photographies ou les dessins des champs de bataille, mais les sentimens des peuples sur ces faits. Ce qu’on y saisit, ce ne sont point des réalités, mais l’image que les artistes et leur public se font des réalités et aussi des aspirations de leurs amis et de leurs adversaires. A ce point de vue, la caricature projette une plus vive lumière que la parole écrite sur le grouillement complexe et confus des passions, des espérances et des craintes, éparses dans la subconscience d’une nation. Et cela pour deux raisons.

D’abord, elle résume. En tirant de tous les traits qui composent une figure le seul trait qui marque sa dissemblance d’avec l’espèce, le caricaturiste nous découvre le caractère propre à l’individu et, par là, nous résume le visage. De même, en faisant tenir, dans le cadre étroit d’un dessin et le geste de deux ou trois personnages, tout un événement contemporain, ou une théorie sociale, ou un système politique, il nous les dégage de tout ce qui est accessoire et, même en les exagérant, nous en fait apparaître, à première vue, l’essentiel. C’est là, surtout quand il s’agit des idées et des sentimens d’un peuple étranger, lointain, ou dont nous ne pouvons pas aisément lire les journaux, un secours qu’il ne faut point dédaigner.

Ensuite, elle exprime très vraisemblablement, de ce peuple, le sentiment moyen et universel. Le trait caricatural est un