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LA
CARICATURE ET LA GUERRE

I

Si la caricature était, comme on l’a souvent prétendu, « l’art du rire, » la présente étude serait sans objet, et son titre même ne pourrait s’écrire de sang-froid. Les spectacles auxquels nous assistons, depuis vingt mois, ont éveillé ou surexcité en nous, jusqu’au paroxysme, tous les sentimens dont l’âme humaine est capable, sauf ceux dont le rire est l’expression. Même les neutres, même les habitans les plus lointains de ce globe, qui semble, d’ailleurs, s’être rapetissé comme une boule d’argile dans la fournaise, ont senti que l’humanité entière court un danger. Que l’on puisse, en plein XXe siècle, déchirer un traité, renier sa signature, préparer froidement et dans le plus grand détail l’assassinat d’un peuple, mutiler des enfans, noyer des familles entières d’émigrans, envoyer des infirmières au poteau d’exécution, c’est là une surprise tellement tragique, un réveil si brutal des longs songes de paix et de fraternité sociales, qu’à peine aujourd’hui même notre pensée peut les « réaliser. » On n’en pourrait rire que dans Sirius, à la condition encore que dans Sirius il y eût des hommes et qui fussent dépourvus de tout sentiment d’humanité. Les auteurs gais se sont donc tus, du moins ceux dont l’humour vise au plaisant et demande, pour être goûté, l’esprit paisible et détaché des dilettantes. Ils ne feraient pas leurs frais.