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de voir que vous regardez les événemens d’un œil moins sombre. Quoi qu’en disent les bulletins prussiens, il parait positif que dans cette grosse affaire du 17 [1], le maréchal Bazaine, qui avait en tête deux armées prussiennes, a maintenu ses positions, et que l’ennemi a fait des pertes si considérables qu’il a demandé un armistice. Voilà un événement de bon augure. Comme vous le dites, la crise sera longue ; elle ne sera pas au-dessus des forces et du courage de la France. Mais que dire d’un gouvernement qui a engagé une telle partie sans être prêt, et en faisant croire au pays qu’il l’était ? Il me semble que ce gouvernement s’est rendu impossible, et il suffit de lire la proclamation du général Trochu [2] pour être assuré que la République existe aujourd’hui de fait.

«...Quelles cruelles journées vous avez traversées ! Si, contrairement à mes vœux les plus ardens, la situation s’assombrissait de nouveau, et que la Revue eût besoin de faire appel à ses ouvriers, ils ne lui feraient pas défaut. En ce qui me concerne, je tiens à vous réitérer l’assurance que je vous ai fait donner par ma femme.

« Dans quelle attente fiévreuse nous vivons ! Heureusement, le temps est cette fois-ci un auxiliaire de la France. Il parait que les forces qui se concentrent à Châlons sont considérables. C’est pour cela que les Prussiens avaient si fort à cœur d’écraser l’armée du Rhin sous les murs de Metz. Ce qu’a fait ces jours-ci le maréchal Bazaine encourage les espérances qu’il inspirait. Ce n’est encore qu’un commencement, mais c’est quelque chose que de commencer, quand on prend en main une partie si déplorablement compromise... [3]. »

Les deux amis avaient donc bon espoir ; ils ne se laissaient pas aller au découragement, malgré tant de désastres déjà.

Charles de Mazade qui, à Paris, continua fidèlement sa chronique pendant tout le siège, écrivait alors : « Est-ce qu’on s’énerve dans les découragemens mortels ou dans les effervescences stériles ? Nullement ; il y a une sorte de tranquillité ferme et résolue, on n’entend plus de cris dans nos rues ; dans le pays, il y a de l’émotion sans doute, et point d’hésitation... »

  1. Il doit être question ici encore de Rezonville : le 16 août, car le 17 les armées se concentraient pour la lutte du lendemain, Gravelotte-Saint-Privat.
  2. Trochu venait d’être nommé gouverneur de Paris, 18 août.
  3. Inédite.