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des convois d’armes, achetées en Angleterre même, arrivaient librement en Irlande. » La révolution préparait son règne par la terreur et désignait ouvertement dans chaque district ses futurs otages, qu’elle marquait, ses marked men. La seule différence entre autrefois et aujourd’hui, c’est qu’autrefois le gouvernement anglais s’éveilla, suspendit l’habeas corpus, proclama la loi martiale, l’état de siège, et que lord Lansdowne et lord John Russell firent ainsi avorter le mouvement en le devançant ; ce que M. Birrell et lord Wimborne n’ont pas fait l’autre jour, par une confiance excessive qu’ils vont racheter dans la retraite.

Le mouvement des Sinn-Feiners s’est déroulé exactement comme le mouvement des Fenians, et dans les mêmes lieux, quoique, cette fois, à cause des circonstances, il ait revêtu plus de gravité. La nuit du mardi 5 au mercredi 6 mars 1867, comme le lundi de Pâques 1916 à midi, le soulèvement avait été simultané à Dublin et dans les environs, à Drogheda, à Cork, dans quelques parties du Limerick, dans la partie du Tipperary au Nord des Galtees, et au Sud des mêmes montagnes, entre le Black-Water et le Lee. Quarante postes de police avaient été attaqués sur cette étendue de soixante-dix lieues de longueur, de vingt ou trente lieues de largeur, sans qu’aucun poste de plus de cinq hommes eût été pris, sans qu’aucun rassemblement eût attendu l’approche d’une troupe quelconque. « Neuf chefs armés chacun d’un revolver se sont laissé mettre des menottes et ont pu être traînés en prison par quatre hommes de police. » Axiome à l’usage des constables et de la yeomanry : « Il est acquis qu’un soldat de police vaut cinquante fenians ; quatre hommes de police en ont battu deux cents ; quinze hommes de police en ont battu deux mille. » Le fenian, « prêt au martyre, » très excitable, enthousiaste, avait couru, pieds nus et tête nue, au rendez-vous dans la bruyère ; puis, le premier feu tombé, il s’était soumis. Cette fois, la résistance a été plus dure, mais également inutile : le bilan se liquide par des centaines de morts, auxquelles s’ajoutera une douzaine d’exécutions. Jamais les insurrections irlandaises n’ont tenu ; et c’est peut-être ce qui, pour une part, explique l’optimisme serein du gouvernement britannique : il ne prend pas la peine de prévenir des désordres qu’il a si peu de peine à réprimer.

Les mobiles non plus, les têtes, les cœurs, les âmes n’ont pas changé. Pour les plus désintéressés, les plus sincères, les idéalistes, c’est toujours : « L’Irlande ! l’Irlande ; l’Irlande à elle seule, avec tout ce qu’elle possède, depuis le gazon jusqu’au firmament. » Une poignée