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c’étaient les blessés qui appelaient au secours ! A ce moment, l’officier qui avait allumé l’incendie s’est aperçu de la présence des quatre prisonniers, debout sur le seuil : sans dire un mot, il s’est approché d’eux et a déchargé son revolver contre la tempe de l’un des camarades du témoin, qui aussitôt est tombé à terre. Pendant que l’officier s’apprêtait à frapper pareillement un autre des prisonniers, Dorojka, ayant pris son élan, a réussi à franchir un groupe de soldats allemands et à s’échapper sans trop de dommage, malgré les coups de revolver tirés contre lui. Il a erré au hasard toute la nuit, et a fini par rentrer dans les lignes russes.


Cet officier s’amusant à brûler vifs soixante-dix blessés russes, voilà un trait qui eût mérité de prendre place en compagnie des « atrocités » décrites, l’autre jour, par M. John Morse [1] ! Et combien d’autres détails encore, dans ces témoignages envoyés de Russie au professeur Morgan, qui auraient également de quoi confirmer le jugement du vieux négociant anglais, — devenu volontaire dans l’armée russe pour montrer aux Allemands la « couleur de ses yeux, » — sur la transformation d’une race soi-disant « civilisée » en une horde d’animaux féroces ! De la même façon que, tout à l’heure, nous voyions les habitans de Wittenberg accablant de leurs ignobles sarcasmes, à la fois, les cercueils des victimes anglaises du typhus et les survivans du fléau, nous lisons dans un des rapports publiés par M. Morgan toute espèce de « bonnes farces » inventées par les soldats allemands pour vexer et torturer leurs prisonniers russes. « Ils annonçaient aux prisonniers qu’on allait leur donner un supplément de soupe ; et puis quand les Russes se précipitaient vers la cuisine, on lâchait contre eux une meute de chiens qui leur mordaient les jambes, au grand ravissement de tous les spectateurs. » Il n’y avait pas jusqu’aux infirmières allemandes, — jusqu’à des femmes vêtues de l’uniforme de Sœurs de Charité, — qui ne se divertissent à mystifier les blessés russes confiés à leur garde. Elles feignaient de leur offrir du pain et des saucisses ; après quoi, lorsque les blessés étendaient la main, elles y assénaient un fort coup avec une cuiller de bois ; ou bien encore elles frottaient le visage des blessés avec une saucisse dont elles-mêmes, sans doute, se régalaient ensuite ! Dans toutes les villes où passaient des convois de soldats russes blessés, la foule des habitans civils se pressait autour d’eux, « les frappait violemment, tirait leurs moustaches, et leur crachait dans la bouche ! »

  1. Voyez la Revue du 15 mars dernier.