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mais petit à petit, et à mesure que l’invasion se rapproche, les communications deviennent difficiles, puis impossibles, lorsque le réseau qui se resserrait se referme autour de Paris.

Le 17 août, la France, après les défaites de Wœrth et Frœschwiller, subissait l’invasion ; depuis le 9, le siège était mis devant Strasbourg, nos armées s’étaient battues sans relâche à Borny et à Rezonville-Mars-la-Tour. La nouvelle de cette dernière bataille avait été reçue à Paris avec transport : on en avait fait une victoire [1]. Ce n’était qu’une demi-défaite, et F. Buloz écrit à George Sand : « Les nouvelles sont un peu meilleures, on a réussi à se concentrer en repoussant l’ennemi, et en lui faisant éprouver de lourdes pertes [2]. Cependant, ce sera long si on veut rester sur la défensive pour harasser les Prussiens, et dans tous les cas, Paris ne sera pas un agréable séjour, puisqu’on pense à battre l’ennemi sous ses murs avec une armée par derrière et une armée par devant, » — puis comme le romancier doutait qu’on pût lire ses romans à de pareils instans, il écrit : « On vous lira malgré tout, croyez-moi [3]. »

On le voit, F. Buloz conservait, à travers nos épreuves, un espoir tenace.

Victor Cherbuliez, qui lui était très affectueusement dévoué, voyant la tournure que prenaient les événemens, lui avait offert de le rejoindre à Paris..., de passer avec lui ces heures cruelles, de l’aider dans sa tâche. Mais le directeur de la Revue avait refusé l’offre délicate de son ami. « Cherbuliez était marié, il avait trois enfans, il ne devait pas venir s’exposer ainsi dans la France en guerre [4]. »

Le 19 août, Cherbuliez est à Saint-Cergues avec son père souffrant ; il suit anxieusement la marche des armées, et il écrit à F. Buloz son impression, l’opinion qu’il se fait…, ses espoirs. Hélas ! comme tous, il se leurrait : « Je suis très heureux

  1. « Mais dit l’Impératrice, il y a une dépêche que vous ne connaissez pas… Le maréchal est victorieux à Rezonville. » L’Empire libéral, tome XVI, p.. 276. E. Ollivier.
  2. 16 000 Allemands avaient été blessés ou tués (A. Malet, XIXe siècle)
  3. Collection S. de Lovenjoul. F. Buloz à G. Sand, 17 août 1870, F. 230. Inédite.
  4. On sait que Cherbuliez, dont la famille française originaire du Jura avait émigré au moment de l’Edit de Nantes, avait gardé à la France un attachement profond. Après nos revers, il le lui manifesta de la façon la plus touchante en demandant sa naturalisation.