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dit, en désignant du doigt le funèbre cortège : Regardez, madame, comme c’est beau ! Voir fusiller des civils français, regardez, c’est ça qui est du beau travail ! On devrait les tuer tous comme ça !

Pareillement le réserviste prussien Richard Gerhold, tué en septembre 1914 à Nouvion en Picardie, avait écrit, peu de jours auparavant, sur son carnet de route : « C’est pour moi une folle joie quand on peut se venger de cette canaille de curés belges et français ! » Et comment ne pas mentionner encore ce passage d’une lettre qu’écrivait à sa fiancée, de Péronne, le 16 mars 1915, le soldat bavarois Johann Wenger : « Je t’envoie un bracelet fait d’un éclat d’obus. Tu auras là un beau souvenir d’un guerrier allemand qui a fait toute la campagne et tué des tas de Français. J’ai aussi tué à la baïonnette un bon nombre de femmes. Pendant le combat de Badonviller j’ai ainsi expédié sept (7) femmes et quatre (4) jeunes filles dans l’espace de cinq minutes. Le capitaine m’avait dit de tuer ces truies françaises à coups de fusil, mais j’ai préféré me servir de ma baïonnette [1]. »

M. Morgan nous transmet aussi une très curieuse série de témoignages russes, qui lui ont été communiqués par une commission officielle de Pétrograd. Qu’on me permette d’en extraire, tout au moins, la saisissante déposition du soldat Nicolas Dorojka :


Durant la seconde moitié de juin 1915, le régiment de ce témoin a pris part à un combat près d’Ivangorod. Resté maitre du champ de bataille, le régiment s’y est installé pour la nuit ; et quelques-uns des soldats ont aidé les brancardiers à transporter les blessés dans un hangar de bois, couvert de paille, à l’extrémité du village voisin. D’après les témoignages des médecins et de tout le personnel de la Croix Rouge, le nombre des blessés logés dans ce hangar était d’environ soixante-dix. Or voici que, vers onze heures de la nuit, on a entendu le fracas soudain et violent d’une fusillade : le village venait d’être cerné par des Allemands ! Le témoin Dorojka a pris son fusil et s’est enfui avec trois camarades ; mais, dans l’obscurité, ils sont tombés sur une patrouille allemande qui leur a enlevé leurs armes, et les a ramenés dans le même hangar où le témoin avait aidé à transporter les blessés russes. Quelques instans plus tard, un officier allemand a donné un ordre à ses soldats ; puis, rassemblant de ses propres mains une brassée de la paille qui tapissait le sol du hangar, il l’a placée contre l’un des coins du bâtiment, et y a mis le feu avec une allumette. Le témoin déclare qu’il s’est presque évanoui en voyant l’officier mettre le feu au hangar. La paille s’est tout de suite enflammée, le feu a commencé à envelopper le bâtiment ; et bientôt des cris perçans se sont élevés de l’intérieur :

  1. C’est le soldat lui-même qui répète en chiffres, dans des parenthèses, — pour être plus sûr de se faire bien comprendre, — le nombre des femmes et jeunes filles qu’il a « expédiées. »