Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/467

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus considérables du barreau anglais, M. J. H. Morgan, professeur de droit constitutionnel à l’Université de Londres ! M. Morgan a été l’un des membres les plus actifs de la Commission chargée d’aller s’enquérir, sur les lieux, des crimes commis par les Allemands dans les régions occupées par les troupes anglaises ; et nul doute qu’il ait contribué déjà, pour sa bonne part, à la rédaction du rapport officiel publié naguère par cette Commission. Son séjour prolongé dans le Nord de la France et de fréquentes visites à d’autres parties du « front occidental » lui ont même procuré l’occasion d’observer toute sorte de menus aspects de notre vie française, que nous traduit avec une précision et une délicatesse singulières un article récent du Nineteenth Century. Nous y trouvons décrits, par exemple, des types infiniment divers de « poilus » de tout âge et de toute origine ; ou bien c’est, à propos de la survivance « miraculeuse » de la statue équestre de Jeanne d’Arc décorant le parvis de la cathédrale de Reims, ce magnifique éloge de la femme française :


Pendant que je regardais l’héroïque Pucelle continuant à élever vers le ciel son étendard, en face de la cathédrale profanée, et toujours absolument intacte au milieu des ruines qui l’entouraient, j’ai eu soudain l’impression d’avoir là devant moi un symbole parfait de toutes les femmes de France. Je me suis souvenu d’avoir rencontré partout d’authentiques descendantes spirituelles de Jeanne d’Arc. N’était-ce pas l’une d’elles qui m’était apparue sous l’espèce de la petite vieille que j’avais vue, tout à l’heure, faisant l’école au fond d’une cave, et enseignant avec une gaîté héroïque les légères « chansons de France » à des enfans qui arrivaient et s’en allaient coiffés de leurs petits masques respiratoires, indispensables pour les protéger contre les obus empoisonnés qui ne cessent point de tomber parmi les vénérables places et rues de leur ville ? N’était-ce pas une héritière de Jeanne d’Arc que j’avais rencontrée sous l’espèce de l’aimable « patronne » de mon hôtel, demeurant fidèlement à son poste, et répondant avec une simplicité indomptable à mes questions sur l’averse quotidienne des obus allemands : « Ma foi, m’sieu, on a vite fait de s’y habituer ! » Et ces travailleuses des champs que, tout de même que Jeanne, j’avais vues « hardies de chevaucher chevaux et les mener boire ! » Et puis encore ces tranquilles âmes qu’il m’avait été donné d’entrevoir sur tout mon chemin, ces femmes et ces mères françaises vivant frugalement de leur allocation de vingt-cinq sous par jour, et dont les doigts agiles ne se lassent point de confectionner des « tricots » pour leurs chers « poilus » et qui, tout de même que Jeanne en présence de ses juges, pourraient affirmer que, « quant à ce qui est de filer et de coudre, elles pourraient tenir tête à n’importe quelle femme de Rouen ! » Et cette autre petite vieille qui, chaque jour et du matin au soir, l’été passé, stationnait en plein soleil devant la porte d’une ambulance voisine du Vieil-Armand avec