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Aschenbach. « Ce haut dignitaire nous est arrivé revêtu de haut en bas d’un costume imperméable, avec des gants de caoutchouc et, sur la tête, un masque pareil à ceux qui servent à protéger des gaz asphyxians. Sa visite, précédée d’une foule de mesures de précaution, n’a pas duré, en tout, plus de dix minutes. » Et le rapport ajoute que, dès la semaine suivante, cette visite de l’intrépide docteur Aschenbach a mérité à celui-ci d’être décoré de la Croix de Fer, — « pour services exceptionnels rendus en combattant une épidémie de typhus [1] ! »

Lâches et féroces, tels étaient bien les Allemands de Wittenberg. Écoutons encore ce passage de la relation du docteur Lauder, — dont chaque détail nous est confirmé par le témoignage unanime de vingt autres prisonniers anglais récemment rapatriés : « Nos morts étaient enterrés dans un cimetière improvisé sur la limite extérieure du camp. Les Allemands nous envoyaient, tous les jours, un certain nombre de cercueils où nous déposions les prisonniers morts, après quoi les collègues encore valides de ceux-ci étaient autorisés à les emporter jusqu’au cimetière, en passant par une porte découpée dans la clôture de fils barbelés. Le cimetière était beaucoup trop petit, de sorte que les cercueils avaient peine à être entassés les uns sur les autres. Mais ce que les prisonniers avaient le plus de peine à supporter était les sarcasmes insultans avec lesquels ces cercueils de leurs malheureux camarades ne manquaient jamais d’être accueillis par les habitans de Wittenberg, qui se tenaient en dehors des barrières, et avaient toute permission d’outrager aussi bien les morts que les vivans ! » D’une façon générale, les prisonniers en étaient arrivés à souhaiter d’être atteints du typhus. « Ils préféraient ce mal, avec toutes ses horreurs, au régime abominable que leur faisaient subir leurs gardiens allemands. »


Et voici maintenant une autre série d’ « atrocités, » rapportées à grand renfort de preuves « documentaires » par l’un des maîtres les

  1. Autre trait de l’incroyable « lâcheté » allemande : plusieurs prisonniers revenus d’Allemagne m’ont dit que leurs gardiens les avaient priés de leur donner, avant de partir, une sorte de « certificat » attestant que ces gardiens s’étaient montrés indulgens et serviables à leur endroit : après quoi ils avaient cousu le papier sous la doublure de leur capote, « pour le cas où ils seraient appelés sur le front. » En d’autres termes, ces soldats allemands ne rêvaient déjà qu’à la possibilité pour eux de devenir, à leur tour, nos prisonniers de guerre : et je crois les entendre murmurant à leur « fiancée, » en manière de consolation : « Ne te fais pas trop de soucis, ma chère Marguerite ! Avec l’aide du bon Dieu, et à force d’y tâcher, je réussirai bien à me faire prendre par l’ennemi dès mon arrivée sur le front ! »