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que, depuis cette date jusqu’au mois d’août 1915, aucune communication n’a plus eu lieu entre les prisonniers et les autorités allemandes, si ce n’est sous la forme de commandemens criés du dehors à l’intérieur du camp. Les provisions, pareillement, étaient envoyées du dehors au moyen d’un système de wagons à « trolley. »

Pendant les deux premiers mois, les prisonniers malades ont eu à se passer complètement de tous soins médicaux. Le 10 février 1915, six des treize médecins anglais retenus prisonniers à Halle, — contrairement à tout droit, — ont reçu l’ordre de se rendre au camp de Wittenberg. Aucune explication ne leur a été donnée des motifs de cet ordre, et c’est seulement de la bouche du conducteur de leur train qu’ils ont appris l’existence à Wittenberg d’une épidémie de typhus. En arrivant au camp, les médecins ont été frappés du silence apathique des prisonniers anglais entassés dans les deux grandes salles. Au milieu d’une obscurité lugubre, ces infortunés marchaient de long en large, ou bien gisaient sur le sol, tous déjà touchés par la maladie. Le soir de ce même jour, deux des médecins anglais ont été transférés dans des hôpitaux installés en dehors du camp. Des quatre autres, un seul, le major Lauder, est demeuré vivant.

Malades ou bien portans, les prisonniers étaient contraints à dormir, trois par trois, sur un seul matelas : ce qui rendait la transmission de la maladie presque inévitable. Vainement le major Lauder a demandé aux autorités que l’une des deux salles fût réservée aux malades atteints du typhus : du dehors, les officiers allemands ont enjoint aux quelques gardiens maintenus dans le camp de s’opposer à la séparation ainsi réclamée, — sans même tenter, d’ailleurs, la moindre justification d’une défense aussi insensée. Nul moyen d’obtenir pour les malades la nourriture ou les remèdes dont ils avaient besoin. Chaque jour, des doigts de pieds se prenaient de gangrène, et impossible de se procurer de quoi les bander ! L’un des rares prisonniers anglais sortis vivans de Wittenberg, le soldat Lutwyche, a dû, à son retour d’Allemagne, se faire amputer les deux jambes, tandis que, sans l’ombre d’un doute, la gangrène dont il souffrait aurait pu se guérir avec un pansement moins rudimentaire.


Je ne puis malheureusement songer à pousser plus loin mes citations ; mais les quelques lignes qu’on vient de lire suffiront déjà pour donner une idée d’une lâcheté vraiment monstrueuse et qui est encore, au dire des témoins les plus autorisés, l’un des traits distinctifs de l’ « abrutissement » de la race allemande. Que l’on se représente le degré d’abjection morale où doivent être descendus ces officiers et ces médecins allemands du camp de Wittenberg qui, depuis l’apparition des premiers signes du typhus, « s’enfuient précipitamment » au dehors et n’osent plus remettre le pied au camp aussi longtemps qu’il y reste un seul prisonnier malade ! Ou plutôt non : une fois, au cours des six mois qu’a duré l’épidémie, les prisonniers ont reçu la visite du médecin-chef du camp, le très galonné docteur