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l’unique trait de ce genre qu’il m’ait été donné de découvrir, depuis bientôt deux ans, non seulement dans des journaux anglais ou français, mais encore dans la demi-douzaine de « livres de guerre » allemands qui me sont tombés sous la main. Pas une fois, par exemple, l’auteur d’un petit recueil berlinois intitulé : Nos Héros n’a eu l’idée d’enregistrer, — dût-il l’inventer au besoin, — le moindre épisode qui nous montrât ses « héros » allemands se conduisant d’une manière simplement « humaine » à l’égard de soldats ou de civils ennemis. Et je sais bien, après cela, que la Légende Dorée est toute pleine d’histoires comme celle de ce cupide et méchant receveur d’impôts égyptien nommé Pierre qui, un jour, — faute d’avoir à sa portée un autre projectile, — avait lancé à la tête d’un mendiant le reste d’un petit pain de seigle qu’il était en train de manger ; et puis, la nuit suivante, ayant été saisi d’une fièvre maligne, ce Pierre avait eu un rêve où il s’était vu forcé de comparaître devant le tribunal suprême. « Et voici que, sur l’un des plateaux d’une balance, des diables tout noirs déposaient ses péchés, tandis que de l’autre côté se tenaient tristement des anges vêtus de blanc qui ne trouvaient rien à mettre pour faire contre-poids ! Et l’un de ces anges dit : « Hélas ! nous n’avons rien à mettre sur ce plateau, si ce n’est un morceau de pain de seigle que le seigneur Pierre a donné au Christ ce matin, et encore contre son gré ! » Et les anges mirent le pain sur le plateau, et Pierre vit qu’il faisait contrepoids à tous ses péchés. » Mais malgré tout ce qui nous a été ainsi révélé des trésors infinis de la paternelle indulgence divine, j’ai peine à me représenter les deux plateaux de la balance ramenés, semblablement, à l’équilibre parfait lorsque, là-haut, « devant le tribunal suprême, » en réponse à des milliers de diables noirs qui seront venus rappeler la longue et tragique série des « atrocités » allemandes, le groupe désolé des anges préposés à la garde spirituelle de l’empereur Guillaume et de ses sujets aura timidement murmuré le récit des « cinq minutes » accordées par les habitans d’une tranchée allemande pour permettre à des soldats anglais de sauver de la mort un de leurs compagnons !

Sans compter que le pain de seigle donné, « contre son gré, » par le « seigneur Pierre » n’a pas eu du tout pour effet de lui valoir aussitôt la béatitude éternelle. « Ajoute encore quelque chose à ce pain de seigle, — lui ont dit ses anges, — si tu ne veux pas tomber entre les griffes de ces mauvais diables ! » Et il faut lire dans la Légende Dorée toute la somme énorme d’humble repentir et de brûlant amour « ajoutée » désormais par l’ex-receveur d’impôts à ce qu’il avait plu