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redoublés parmi ses proches lui inspire ces hautes pensées :


Heureusement, toutes ces tristesses mêmes portent avec elles leur remède, et presque une certaine joie. Avant-coureurs de la vie éternelle ces nobles âmes qui ont su faire leur sacrifice avec tant de générosité restent près de nous comme des aides et des amis. On se sent porté par leur exemple, et l’on veut demeurer dignes d’eux... Jamais... je n’ai mieux éprouvé au dedans de moi la présence efficace de X... que depuis que le lien terrestre est brisé entre nous. Dans la maisonnette solitaire ou je t’écris ceci, je me sens entouré affectueusement par d’invisibles entraîneurs... Tous me disent que la mort n’est pas si dure, et qu’il y a des choses qui valent mieux que la vie. Je ne le désire certes pas, mais je n’ai pas peur de les suivre...


Et encore :


Pouvant disposer de sa vie, S... a jugé que son devoir était de faire plus que son devoir, et qu’une vie, si utile qu’elle fût, ne vaudrait pas l’exemple qu’il donnerait en la perdant, car une mort comme celle-là fait germer la vie derrière elle.


La veille de sa mort, il écrivait enfin à M. Rébelliau :


Pour l’instant, ce n’est point de livres qu’il s’agit. Il s’agit de tenir et de fixer la victoire, et, en attendant, de croire en elle. Je n’oublie point de quelles tristesses vous la paierez ; vous savez aussi les nôtres. Mais n’est-ce point la meilleure façon de rester fidèle à ceux qui sont morts pour la France en péril que de penser moins à eux qu’à la France, tant que le péril durera ?


Le lendemain, 16 avril, au moment d’un bombardement terrible, plus pressé de s’assurer que chacun était à son poste que de regagner son abri, mais « jugeant que son devoir était de faire plus que son devoir, » il donnait sa vie pour cette France qu’il avait si vaillamment servie et si passionnément aimée.

Et maintenant, dans le petit cimetière du front dont il avait envoyé la photographie aux siens, il repose, en attendant le grand réveil de la victoire française. Soldat, professeur, écrivain, suivant le mot du poète qu’il aimait, mais transfiguré par l’espérance chrétienne, il a fait énergiquement, jusqu’au bout, jusque sous le feu de l’ennemi, sa longue et lourde tâche. Il est mort de la plus belle mort que puisse souhaiter un écrivain français. Il nous laisse, avec un admirable exemple, une œuvre forte, variée, suggestive, une haute, pure et tendre mémoire. Ne le plaignons pas, puisqu’il ne voulait pas être plaint. Envions-le plutôt. Imitons-le. Continuons-le. Travaillons.


VICTOR GIRAUD.