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adoraient cet officier si brave, si gentiment paternel, et dont l’élégante beauté virile portait si crânement l’uniforme.

Cependant cette vie d’ « ermite vaseux « comportait quelques loisirs. L’idée vint à Maurice Masson de les mettre à profit pour achever la rédaction, l’impression et la correction de son Rousseau. Avec une activité un peu fébrile qui nous étonnait et nous inquiétait parfois, à la manière d’un pressentiment funèbre, mais avec une liberté et une sérénité d’esprit que nous admirions, et où il entrait de la bravoure, de la coquetterie, et une subtile ironie à l’égard des « Boches, » il se mit à la besogne. Au fond de son « trou inconfortable » transformé en cabinet de travail, il corrigeait ses épreuves, et il « narguait les obus. » « Et pourtant, ils tombent dru, ajoutait-il, et depuis que je vous ai commencé ce petit mot, voilà trois fois déjà que ma bougie s’est éteinte sous le souffle des torpilles qui viennent éclater sur mon toit. Avouez qu’il est plaisant, au milieu d’un pareil sabbat, de s’amuser à distinguer encore les deux Jean Sarrazin... » La thèse achevée, — « ce livre qui aura été pour lui, ainsi qu’il le disait joliment, comme la bague-souvenir que l’on cisèle en campagne, » — il se faisait une fête de venir, en soldat, « l’épée au poing, » la soutenir à la Sorbonne. La date était fixée. L’offensive allemande vint ruiner ce, beau projet, et précipiter le fatal dénouement.

Car notre ami, affecté à un régiment de réserve, et bientôt nommé lieutenant, avait été envoyé, il y a quelques mois, dans l’un des secteurs les plus tragiquement célèbres du front. « Mathématiquement, disait-il, si nous restons trois mois là-haut, mon tour doit venir. » Il n’avait pas d’illusions. Il multipliait les lettres, comme si, sentant sa fin prochaine, il voulait, en se faisant tout à tous, donner à ceux qu’il aimait le plus possible de lui-même. Son âme s’élevait, s’épurait encore. Lui qui, s’il s’était écouté, aurait pu aisément être un peu « aristocrate, » il ne tarit pas sur l’affection admirative que lui inspirent ses soldats ; il s’en voudrait de quitter ces « héros inconsciens ; » il « les remercie intérieurement pour le réconfort que leur seule vue lui donne ; » et quand il va « s’asseoir au parapet, près de l’un d’eux, » quand, « reçu avec un bon sourire d’amitié et de confiance, il regarde ces yeux paisibles que le danger n’effraie pas, » il se dit « content d’être à la fois le chef et le camarade de tels hommes. » Et la mort qui frappe à coups