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plus consciencieux et du plus minutieusement exact des érudits, — d’un historien philosophe et psychologue aussi curieux des grandes idées générales que des âmes individuelles, et enfin d’un véritable écrivain. Masson porte allègrement tout le poids de sa science, parce qu’il la pense et qu’il la juge, et en même temps, il se refuse à être ennuyeux, et il a trop de goût pour n’avoir pas le vif sentiment du style. De là l’agréable sécurité qu’on éprouve à le lire : il instruit, et il plaît ; sa langue fine, agile, nerveuse, élégante et élancée comme sa personne, est parmi les meilleures de celles qu’on parle aujourd’hui.

C’étaient là de bien beaux dons ; et ses maîtres et ses amis attendaient beaucoup d’un esprit aussi riche et aussi bien muni. La vie, au total, lui avait été facile et ne l’avait point gâté : il restait bon, simple, dévoué, délicat. Ce Lorrain, très justement fier de sa province natale, était entré dans une famille lorraine : il avait épousé l’une des filles d’un membre de l’Institut, mort récemment, M. René Zeiller, dont les beaux travaux sur le sol lorrain nous ont enrichis d’un nouveau trésor souterrain. Il achevait la rédaction de ses thèses, quand la guerre survint et « le mit à son poste de combat. » Il partit, non sans tristesse, mais plein d’ardeur et d’espoir. Il était sergent de territoriale.. Il resta longtemps dans un fort de Toul, se réacclimatant au métier militaire qu’il avait toujours aimé. Les heures s’écoulaient, souvent longues et monotones. Il aspirait à une vie plus active qui, peut-être en le rapprochant du danger, opérerait entre ses hommes et lui une fusion plus complète. Il souffrait parfois de l’indigence d’amitié. Il écrivait de longues lettres, d’un tour exquis, et parmi lesquelles il en est d’admirables. J’espère qu’on en publiera quelques-unes : elles feront mieux connaître cette âme d’élite, et elles prolongeront son action.

Il y avait en lui l’étoffe d’un vrai chef, et l’on s’en aperçut assez vite. On le nomma sous-lieutenant, et on l’envoya au front. Il fut enchanté de « faire en guerre œuvre plus guerrière » et s’accommoda à merveille de la dure vie de « troglodyte des tranchées » qu’il décrivait en termes pleins d’humour et de saveur pittoresque. « J’ai plus de responsabilités, disait-il, je prends mon métier au sérieux, et je passe toute ma journée à surveiller mes hommes, et à tâcher de les connaître, pour en tirer le meilleur parti, en leur rendant la vie aussi supportable que possible. » Il y parvenait fort bien d’ailleurs, et ses hommes