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Ces recherches, ces lectures, après avoir alimenté de suggestives et vivantes leçons, aboutissaient peu à peu à des articles et à des livres. Quelques-uns de ces articles » ont paru ici même : on en a goûté l’élégante construction, la solidité substantielle, la forme aisée, allante, joliment française. Le XVIIIe siècle avait attiré de bonne heure Maurice Masson, et la grâce piquante de ses écrivains s’était transmise à leur historien. En arrivant à Fribourg, il avait déjà arrêté l’important sujet d’étude auquel il allait vouer son principal effort. Analyser dans ses origines historiques et psychologiques la conception religieuse de Rousseau, en suivre comme à la trace les transformations successives, en retracer les destinées littéraires et morales, il lui avait paru qu’il y avait là un de ces sujets complexes, intéressans, féconds en aperçus de toute sorte, comme il les aimait, et où il pourrait se mettre tout entier. Il s’y consacra pendant dix ans, en effet, mais non sans se permettre, au gré des occasions ou des circonstances, des échappées, des incursions dans des régions plus ou moins voisines. Fénelon et Mme Guyon, Vigny, Mme de Tencin, Angellier, Lamartine, Chateaubriand lui inspirèrent tour à tour des études plus ou moins détaillées, toutes ingénieuses et pénétrantes. A deux reprises, pour son Vigny et pour son Lamartine, l’Académie lui avait décerné le prix d’éloquence. Brunetière disait des pages sur Alfred de Vigny qu’elles lui rappelaient les premiers articles de Sainte-Beuve. Et quant aux thèses sur Rousseau, heureusement achevées et qui viennent de paraître, elles sont, au témoignage d’un juge compétent et sévère, M. Lanson,


le travail le plus considérable, le plus riche, le plus fort qui, depuis des années, ait été donné sur Jean-Jacques Rousseau... Il n’y a, dit encore M. Lanson, il n’y a pour ainsi dire pas de problème relatif à la vie, au caractère et à l’œuvre de Rousseau, ni de problème relatif à l’évolution du sentiment religieux entre Fénelon et Chateaubriand, — pas un problème philologique, historique, psychologique, esthétique, — qui ne soit touché dans ce beau livre, et qui n’y reçoive une solution toujours neuve par quelque endroit, toujours ingénieuse et sérieuse, parfois définitive.


Je reviendrai sur cet important travail. Je ne puis en noter aujourd’hui que ce qui a trait à la physionomie morale et littéraire de son auteur. Or, ce qui fait l’originalité du livre de Maurice Masson sur Rousseau, comme aussi bien de toute son œuvre critique, c’est qu’il est à la fois le livre d’un érudit, — du