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du pays qui les hospitalisait, un véritable petit coup d’Etat, qu’ils soulignèrent par une bruyante démission collective et par une fort inélégante brochure. Ils préludaient à « l’avant-guerre ! »

C’est dans ce milieu très cosmopolite, passionnément curieux, excitant et vivant, que Maurice Masson fut appelé à évoluer. Il s’y adapta avec une remarquable souplesse. Mettant à profit l’expérience de ses devanciers, il se rendit un très juste compte des conditions et des limites de son action. Il comprit qu’il ne suffisait pas de faire consciencieusement d’excellens cours et de diriger dans leurs travaux les étudians qui s’adressaient à lui, mais qu’il fallait se répandre au dehors, produire, s’encadrer dans les organisations locales, tâcher d’y rendre service, bref, ne perdre aucune occasion de témoigner discrètement pour la pensée et pour la vie françaises. Ce programme, que la concurrence allemande rendait parfois plus méritoire et plus difficile à réaliser qu’on ne pense, nul ne mit plus de généreuse ardeur que ce jeune homme de vingt-cinq ans à le concevoir et à le remplir. Et que cette lente action continue et collective ait produit ses fruits, c’est ce qu’on ne saurait nier. Les sympathies de la population fribourgeoise pour notre cause auraient été moins vives, si elle n’avait pas vu à l’œuvre quelques Français authentiques. Et, d’autre part, si j’en juge par divers aveux que j’ai pu recueillir, les professeurs et étudians allemands qui sont passés par Fribourg ont dû être moins surpris que la plupart de leurs compatriotes de la vitalité française.

Maurice Masson fut, tout de suite, un remarquable professeur. Il parlait bien, avec une vivacité pressante, ingénieuse et spirituelle qui attirait et retenait l’attention. Et sa parole était nourrie et précise. Il avait lu, ce qui s’appelle lu, les œuvres dont il parlait, et il s’efforçait toujours de présenter à ses auditeurs le dernier état des questions que chacune d’elles soulevait. Il s’en serait voulu, par exemple, de faire un cours sur Lamartine, sans avoir exploré au préalable les manuscrits de la Bibliothèque nationale. Et ainsi du reste. Travailleur infatigable, il acquérait ainsi au jour le jour cette étonnante érudition dont chacun de ses écrits porte la trace. Et par la nature de son enseignement, comme par les directions qu’il donnait à ses étudians, il prouvait assez clairement que la science française, pour la précision, la méthode... et l’agrément, ne le cédait peut-être en rien à la docte science allemande,