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dessinait. On vit sans déplaisir l’enfant s’orienter vers une profession libérale. En 1900, après de fortes études à Nancy, puis au lycée Louis-le-Grand, il entrait à l’Ecole normale.

Ce qu’était l’Ecole normale d’alors, je suis trop imparfaitement informé pour le dire avec une entière précision. Tout me fait croire que, suivant l’usage, on y menait une vie de fécond travail, d’ardentes et libres discussions, de chaude amitié. Les tempéramens les plus opposés s’y développaient sans contrainte. Parmi ses aînés, Maurice Masson y connut le socialiste Albert Thomas, notre secrétaire d’Etat aux munitions, et parmi ses cadets, Emile Clermont, le subtil auteur de Laure, comme lui, hélas ! tué à l’ennemi. Plusieurs de ses camarades de promotion ont déjà tenu les promesses qu’ils faisaient concevoir : Paul Hazard, Pierre Villey, — noms connus de nos lecteurs, — le philosophe Jacques Chevalier, l’historien Maurice Legendre. Dans ce milieu très ouvert et très vivant pénétraient et s’exerçaient les influences les plus diverses : celle de Jaurès et celle de Brunetière, celle de M. Boutroux, de M. Bergson, d’Edouard Le Roy, celle aussi de M. Loisy. Le problème religieux y était souvent posé et discuté. Il semble bien que, d’assez bonne heure, Maurice Masson, catholique complet, s’y soit formé, sur ces hautes questions, une sorte de philosophie qui correspondait aux multiples besoins de sa nature, à la fois très simple et très élevée : quelque chose comme un stoïcisme chrétien, qui du reste est allé en s’attendrissant de plus en plus. En tout cas, il s’était profondément épris de Vigny, qui lui a inspiré son premier article. Et dès lors, sans y tâcher, par sa simple manière d’être, tout ensemble enjouée et grave, il faisait sentir non seulement à ses camarades, mais à ses maîtres eux-mêmes, avec la précoce vigueur de sa pensée et de son talent, l’ardeur et la richesse de sa vie morale.

La variété de ses goûts et de ses aptitudes n’était pas sans danger pour le choix définitif d’une discipline intellectuelle. Un moment, je crois que la philosophie l’a tenté. Mais s’il aimait les idées, il aimait aussi la vie, et son imagination n’était point indifférente aux choses concrètes, au décor mouvant du monde. De plus, il était passionné d’érudition, d’information exacte et précise, et, à l’école de M. Bédier, de M. Lanson, il s’était initié a toutes les exigences, à tous les scrupules de nos modernes méthodes critiques. Bref, à bien des égards, il