Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/441

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coltinant des sacs de farine et couverts de poussière blanche. A la Rochelle et à Rochefort, ils avaient changé de couleur ; ils déchargeaient du cardiff. Les premiers maîtres de la marine, qui les surveillaient, se déclaraient satisfaits de leur discipline et de leur travail. Mais partout on déclarait qu’ils étaient en nombre trop infime.


En supposant le problème du déchargement résolu, un autre se présente, beaucoup plus complexe : celui de l’enlèvement des marchandises. A ce point de vue, l’encombrement des quais dépasse parfois tout ce qu’on peut imaginer. Le long des darses de Marseille, du Vieux-Port à l’Estaque, c’est une accumulation invraisemblable de marchandises de toute provenance, à travers lesquelles on circule difficilement. Quand, d’aventure, l’unique pont transbordeur, qui fait communiquer la mer avec les docks de construction, est ouvert, en un clin d’œil les voitures de charroi s’enchevêtrent et la circulation est pour ainsi dire interrompue pendant tout le laps de temps que dure la manœuvre. Les marchandises séjournent sous l’âpre vent de mistral : elles se dessèchent et se détériorent. Au quai des matières grasses, le soleil darde des rayons implacables sur les fûts de pétrole ou de mazout, dont des mares visqueuses se répandent sur le sol. A Bordeaux, changement de décor : une pluie fine pénètre les laines du Sud-Amérique dont les balles baignent pendant de longues semaines dans la boue de la rivière. A Dieppe, lors de mon passage, pas une grue ne fonctionnait faute de matériel roulant et le port était encombré de navires. Presque chaque jour à Boulogne, on peut voir le travail arrêté durant plusieurs heures. Certains négocians ayant essayé de faire travailler la nuit, ont dû y renoncer, car les wagons leur manquaient ensuite pendant le jour. Au Havre, l’engorgement est tel que, dans la première quinzaine de janvier, la gare n’a pu être ouverte au public que deux fois, à raison de six heures chaque fois.

Il est certain qu’il y a eu insuffisance de la main-d’œuvre affectée au mouvement des marchandises. Insuffisance numérique et qualitative tout à la fois. La guerre a apporté dans cette branche de l’activité nationale une indéniable perturbation. La réquisition des chevaux et des voitures a enlevé aux