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s’aggrave et se prolonge dans le port et même au delà du port. A la crise mondiale due à la raréfaction du tonnage flottant, s’ajoute une crise nationale qui tient à l’encombrement des quais, à l’insuffisance des moyens de déchargement et d’évacuation des marchandises. Si nous subissons malgré nous la loi générale de la pénurie des instrumens maritimes, on peut se demander si nous n’eussions pas été à même d’éviter que cette crise se développât, en organisant avec plus de prévoyance la libre circulation des produits importés sur le sol français. Qu’on me pardonne une métaphore, dont Molière n’eût pas rougi. On ne peut reprocher à un médecin l’embarras dont souffre l’estomac de son malade, mais on peut lui en vouloir de n’avoir pas su le dissiper à l’aide d’une médecine appropriée.

Pour se convaincre de l’état de congestion de nos établissemens maritimes, rien ne vaut un voyage sur le littoral. En juillet 1915, lorsque, au sortir du tunnel de l’Estaque, j’aperçus la rade de Marseille se déroulant à mes pieds sous le soleil matinal, je fus étonné d’y contempler toute une flotte ancrée devant les bassins. « Voilà, dis-je, des transports militaires qui s’apprêtent à cingler vers les Dardanelles. — Pas du tout, me fut-il répondu, ce sont des bâti mens de charge, qui attendent une place à quai. » J’en avais compté trente-deux. Je suis heureux d’apprendre, à la date d’aujourd’hui, qu’on a pu réduire à trois ou quatre seulement le nombre des cargo-boats mis en purgatoire. A Bordeaux, il y eut, en septembre 1914, jusqu’à 23 navires stationnant au Verdon avant d’être admis à remonter la rivière : leur nombre varie actuellement de 8 à 10. Et je me souviens qu’à Saint-Nazaire des charbonniers attendaient, dans l’avant-port, leur tour d’être déchargés. Même situation pour le Havre, les navires devant relâcher bien souvent dans un port voisin avant de suivre leur destination. On conçoit que, pendant le temps où ils sont inutilisés, l’armateur fasse payer au chargeur la location de ses navires. C’est ce qu’on appelle les surestaries. Elles sont fonction du temps d’indisponibilité et du tonnage du bâtiment. A Bordeaux, on paye actuellement 3 francs de surestarie par tonne. A Dieppe, le chiffre, qui était de 7 fr. 80 par tonne de charbon en février 1916, est tombé à 5 fr. 25 en mars, et il dépasse actuellement 10 francs. A Nantes, il se tient au cours de 3 francs. On a cité à la tribune du Sénat des chiffres de surestaries qui monteraient jusqu’à 30 francs,