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Ayant eu l’occasion de parcourir plusieurs fois le littoral de l’Océan et de la Méditerranée, de Dunkerque à Bayonne, de Port-Vendres à Nice, et de visiter la Corse et l’Algérie, j’ai pu voir la crise naitre et se développer. J’en ai eu, en quelque sorte, l’obsédante vision le long des quais tumultueux de Marseille, de Bordeaux et du Havre...


Il est assez étrange de constater que le mal n’a pas été soupçonné tout d’abord. Le 8 août 1914, au moment de mon premier passage à Marseille, le trafic du port était absolument suspendu. Une file ininterrompue de steamers s’échelonnait sur tout le parcours des bassins de la Joliette et les rares navires qui entraient dans les docks n’y venaient que pour désarmer. J’ai cheminé depuis à travers les ruines de Nieuport, d’Ypres et d’Arras. Au milieu des décombres des cités détruites, parmi les incendies qu’allumaient les lourds projectiles allemands, c’est à peine si j’ai éprouvé une impression plus désolante qu’en naviguant devant cette nécropole de navires que la guerre venait, semble-t-il, de frapper à mort. La mobilisation ayant suspendu tous les transports par voie ferrée et enlevé au commerce la main-d’œuvre des dockers, aucun mouvement maritime n’était plus possible. Les bâtimens étrangers, eux-mêmes, devaient s’éloigner de ces rives désertes où les grues inactives dressaient au ciel pur de l’été méridional leurs bras mélancoliques. A ce moment, les armateurs avaient la sensation de quelque chose de définitif, inhérent à l’état de guerre et qui devait se prolonger avec lui. On n’entrevoyait pas la résurrection prochaine. Les compagnies de navigation, qui, par la suite, ont si cruellement souffert de la réquisition, l’envisageaient alors comme un bienfait et elles proposaient spontanément leurs navires aux autorités requérantes.

Six mois plus tard, la flotte marchande avait repris toute son activité ; et la recherche à outrance de tout le fret possible allait faire sortir, du fond des darses où elles croupissaient, toutes les vieilles coques en état de tenir la mer. Alors se révéla l’insuffisance du tonnage flottant par rapport au trafic maritime. Étudions quelles sont les causes qui ont amené ce déficit.

La première, et la moins contestable assurément, est la