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A Taguemmount-Azouz, une sorte de « Maternelle » fut organisée par les religieuses dans le triple dessein de garder les orphelines ou les petites filles sans surveillance, de leur apprendre à coudre et enfin de les nourrir sans offenser par une charité trop visible la susceptibilité ombrageuse de leurs parens, courtiers et revendeurs, atteints par la guerre qui ralentit leur négoce.

Les Sœurs nous content que la fierté des fillettes berbères de quatre à dix ans, fines et élégantes comme des Tanagra dans leur misère secrète, les surprend. Ces enfans ne se plaignent pas, ne réclament rien. Dans la salle, assises sur leur bancs, leurs petites figures ciselées comme des bijoux n’expriment aucune angoisse, mais elles ferment tout à coup les yeux et semblent s’endormir. Elles sont évanouies. Depuis la veille, elles n’ont pas mangé. Pendant la récréation, l’une d’elles danse avec une sorte de frénésie et s’effondre. Encore une qui n’a pu recevoir de sa malheureuse mère une pincée de farine de glands doux.

Un bon repas les ranime ; et, lorsqu’elles se sont signalées par leur sagesse, la douce Sœur qui veille ces fillettes leur accorde comme récompense suprême... un petit morceau de savon de Marseille ! Jamais parfum précieux ne fut emporté avec plus de fierté et de bonheur...

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A travers la montagneuse Kabylie presque inconnue, dans ces villages du Djurjura à peine desservis par des sentiers muletiers qui courent au bord des abîmes ou sont coupés par des oueds infranchissables pendant les crues, les petits couvens blancs attestent à ces archaïques Berbères qu’une France généreuse les protège et les élèvera de leur brutalité primitive vers la civilisation des roumis, faite de bonté, de pitié pour les faibles, de prévoyance et de méthode.


CHARLES GENIAUX.