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figuiers et grenadiers qui forment des sous-bois parfumés et multicolores. Le caïd Cheurfa, portant beau sous le turban qui fait un diadème à son front intelligent, nous accueille : « Certes ! nous confie-t-il, le point de vue confessionnel des Pères Blancs ne m’intéresse pas, mais comment ne tiendrais-je pas pour une bénédiction la présence dans ma petite ville du couvent des Sœurs ? Si les femmes de cette commune sont un peu meilleures ménagères que leurs compagnes des villages monta- gnards, elles le doivent à l’éducation pratique qu’elles reçoivent de ces religieuses dévouées jusqu’à la mort. Et ce ne sont pas là des mots. Des faits leur valent l’admiration reconnaissante de notre population. En 1911, une épidémie de typhoïde faisait mourir jeunes femmes, vieillards et enfans. Avec abnégation les Sœurs Blanches veillaient nos malades, prodiguaient leurs remèdes, indiquaient les précautions à prendre, montaient la garde pour assurer le jeûne prescrit, sauvaient ainsi les convalescens et risquaient à chaque heure leur vie.

Le caïd voulut nous accompagner au couvent de Djemâa-Saridj édifié sur le modèle des petits moustiers toscans. Sur la galerie extérieure les pampres montent à l’assaut des gros piliers ocrés, et les lianes festonnent comme une décoration perpétuelle de fête entre leurs arceaux. Un jardin à végétation africaine exubérante, où chantent les oiseaux et les eaux vives, entoure ce couvent.

Prévenue de notre arrivée par une jeune Kabyle au teint de mandarine qui bondit afin d’accomplir plus vite sa commission, la Mère Supérieure, à laquelle quarante années de Kabylie n’ont pas enlevé son accent morlaisien qui frappe les syllabes comme un marteau sur l’enclume, regrette l’absence de deux Sœurs en ce moment occupées dans les villages environnans à donner leurs leçons d’hygiène, de ménage et de travaux manuels aux femmes qui ne savent ni coudre, ni tricoter, ni cuisiner ni soigner leurs enfans.

— Il meurt presque la moitié des nourrissons, faute de soins, ou plutôt à la suite d’horribles superstitions que nous combattons de notre mieux, nous assure la Supérieure.

Approuvant ces paroles, le caïd conclut :

— Les Sœurs Blanches l’ont compris, ce qu’il faut à nos femmes, ce n’est pas tant la connaissance de la grammaire française, qu’une éducation de mère de famille. Elles ignorent