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C’est la sortie de l’office. Les femmes s’éloignent avec des airs pénétrés.

Dans la chapelle désertée, nous considérons sur les paremens les peintures du Père D...

— Hélas ! chuchote-t-il, San Marco est loin d’Ighil-Ali !

— Moi je dis, ça c’est beau, prononce d’une voix ardente le petit enfant de chœur kabyle qui saute sur ses pieds nus comme s’il voulait atteindre les tableaux.

— Voilà notre récompense, Père D..., dit avec un sourire le supérieur.

Le couvent des Sœurs Blanches, construit sur une colline aride, sans une herbe et pas même une mousse, domine le cimetière musulman harcelé par ses éclats de schiste enfoncés à la tête des tombes plates. Toute la sécheresse d’un Islam en décadence s’affirme dans ce tableau sinistre. Et nous allons brusquement retrouver l’esprit de charité et de bonté, aussitôt franchi le seuil de ces religieuses nées dans nos provinces où la vie aimable leur eût tissé des années de charme et de paix. Or, ces Françaises préfèrent l’exil en pays barbare.

Maintenant, est-il bien certain que les femmes berbères apprécient le dévouement des Sœurs Blanches ? C’est ce que nous demandons aussitôt à la Mère Supérieure, une religieuse jeune encore dans l’Ordre, mais déjà riche d’œuvres bienfaisantes. Elle nous reçoit dans une salle chaulée, pauvre, à peine meublée, où cependant nous respirons comme une atmosphère de chez nous au milieu de l’air brûlant et sans caresses de ce « bled. » Elle nous répond :

— Sans doute, surtout depuis cette guerre qui prive les indigènes kabyles même d’une nourriture suffisante, les indigènes nous sont reconnaissantes d’aider leurs filles ; mais comment voudriez-vous que les mères de famille comprissent, je ne dirai pas notre sacrifice, car nous consentons avec joie à cette existence souhaitée par nous, mais les petites privations spirituelles et matérielles dont nous souffrons quelquefois ? Il faudrait à ces pauvres femmes la connaissance de la France et de sa vie toute baignée de suavité, la vie de nos compatriotes restés à l’ombre de leurs belles églises dans l’affection de leur parenté et les attentions des êtres polis de leur race. Quand ces Berbères demi-nues sous leurs bijoux archaïques viennent nous trouver, comme elles sortent de leurs taudis sans