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hostile, déconcertante et pourtant sublime ! La petite cloche tinte. Quelle voix de France !

— Fermez les yeux et vous vous imaginerez près d’ici un bourg flamand ou breton. N’est-ce pas d’une douceur exquise ?

Ainsi s’exprime le Père D..., le Fia Angelico d’Ighil-Ali, comme l’a surnommé le Père C..., et il ajoute : « Comment trouvez-vous notre chapelle ? Nous en sommes les constructeurs. »

Tour à tour architectes, entrepreneurs, maçons, menuisiers, agriculteurs, vignerons, oléiculteurs, médecins, instituteurs et juges de paix, les moines du cardinal Lavigerie doivent, à l’exemple de Robinson, être capables d’organiser un village civilisé dans les contrées les plus dénuées de ressources.

La cloche sonne toujours et, par le sentier creux qui serpente entre le village chrétien et le couvent, nous voyons arriver les femmes qui viennent assister à l’office. Leur maintien décent garde une légèreté de marche qui tient à leur race montagnarde, déliée et nerveuse. De leurs visages sont bannis les fards, et si les tatouages décorent encore certains fronts, ces dessins datent de leur enfance.

Dans la nef divisée par une allée centrale, les femmes se sont placées à droite, derrière les jeunes filles de l’ouvroir, vêtues de gandourahs rouges, leurs cheveux noués dans des foulards cerise. Les religieuses font tache de neige parmi leur troupeau éclatant. A gauche, agenouillés sur les bancs, se dandinent les garçons de l’école franco-berbère issus de mariages entre Kabyles chrétiens. Leurs crânes rasés sont bleus. Avec quelle peine ces gamins peuvent se retenir de cabrioler ! Un enfant de chœur délicieux comme un angelot de Luini dans son petit burnous clair, trottine sur ses pieds nus autour de l’officiant.

Jeunes filles et garçonnets chantent avec un accent guttural plein de saveur. En dehors de ce petit vaisseau de style ogival, image de la France, c’est le vaste continent islamisé, sans tendresse, sans suavité, sans charité, où tous les faibles doivent périr ou se mettre en servage ; c’est le « bled » hostile où, seuls, les forts ont droit à la vie. Les Kabyles asservis à leur dur Coran, ce code qui n’a jamais d’effusions, mais seulement des ordres, des prescriptions et une philosophie trop pratique, comprendront-ils jamais la loi d’amour des peuples de l’Occident ?