Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/413

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intervient en faveur des malheureux, prévient les désordres, réconcilie les ennemis, juge les contestations, aide au placement des jeunes gens, sert d’intermédiaire entre nos colons et les ouvriers indigènes. De jour et de nuit, quand il est appelé pour un accident, une maladie, à travers le « bled » dangereux, parfois au risque de sa vie à la traversée des oueds débordés, le moine blanc saute sur sa mule, emporte sa pharmacie de voyage et va sauver de pauvres bédouins.

Le Père C... s’annonce d’une voix retentissante à l’entrée du patio sur lequel quatre portes ouvertes correspondent aux quatre appartemens des proches parentes du caïd. Aussitôt des cris aigus répondent :

— Soyez les bienvenus ! Allah bénisse ce jour qui nous envoie des hôtes !

Une vingtaine de femmes et jeunes filles, grand’mères et jeunes épouses, vierges et fillettes accourent curieusement. Leurs yeux cernés par le koheul et leurs sourcils épaissis par le trait noir qui les réunit en accolade à la racine du nez, leur donnent des physionomies inquiétantes. Les Egyptiennes de Séti Ier étaient ainsi maquillées. Le henné rougit leurs ongles et la paume de leurs mains. De lourds bijoux des Benni-Yenni d’un style byzantin, pendeloques, fibules, anneaux de pieds, bracelets, colliers et diadèmes les font ressembler à des idoles ; mais ce sont des idoles très vivantes, impétueuses, ardentes, indiscrètes, criardes, désordonnées. Il faudrait encore, pour nous défendre de leurs importunités, le bâton du Père C..., mais ce glaive semble rentré dans son fourreau, et il ne serait pas galant de s’en servir contre ces guêpes féminines qui vocifèrent, interpellent et pincent nos vêtemens, afin de mieux retenir notre attention.

Goguenard, le Père C... les entretient en berbère. De plus en plus excitées, elles lèvent vers moi des bras supplians. Comme je ne réponds pas, et pour cause, à leur langage incompréhensible, elles redoublent de gestes et finissent par me saisir aux manches qu’elles baisent. Notre guide s’égaie franchement. Je le soupçonne de nous trahir. Que signifie cette comédie ? Enfin, comme il voit une vieille Kabyle édentée prête à se jeter à mes pieds, le Père C... l’arrête et m’explique cette scène.

Les parentes du caïd lui avaient demandé :