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Ah ! tu joues au guerrier sarrasin, dis-tu ? Eh bien ! garde-toi du chevalier croisé, il pourrait bien te donner une bonne frottée. Va vite à l’école.

D’abord penaud, le superbe guerrier mima le geste d’enfourcher un cheval et ruant et se dérobant, son plumet rose assuré sur sa calotte, il descendit vers le couvent avec des hennissemens de victoire.

— Croyez-vous qu’il soit facile de tenir en bride ces garçons, reprend le Père C... ? Quelle patience il faut unir à la fermeté pour n’être pas débordé par leur pétulance atavique ! Ces gaillards sont des pur-sang. Mais, Dieu merci ! il se trouve parmi ces indomptés quelques braves petits cœurs qui se donnent entièrement à nous et nous récompensent de notre effort parfois pénible.

A peine cette déclaration faite, un escadron de polissons, à califourchon sur des branches d’olivier, chargea du sommet de la ruelle en escalier et faillit nous bousculer ; alors le bâton du Père devint lance et glaive et, avec des rires gutturaux, ces petits Berbères arrêtèrent leurs montures de branches vertes.

— Si vous le voulez bien, nous allons visiter le « palais » du caïd d’Ighil-Ali.

En l’espèce, le « palais » de ce chef indigène semblait une assez pauvre ferme. La porte cintrée poussée, nous traversâmes une sorte de vestibule bordé par un vaste banc en maçonnerie. Sur ce terre-plein, les jours de réception, parens, amis ou cliens du caïd attendent, sans risquer d’apercevoir les femmes qu’un couloir coudé dérobe aux indiscrétions.

— Le Sidi n’est pas au logis, nous avertit un enfant.

— C’est regrettable pour ton seigneur, répondit gaiment le religieux ; nous verrons toujours sa famille.

Quelle marque de confiance donnée aux Pères Blancs que de leur permettre de rendre visite aux femmes en l’absence des maris ! Il faut voir là une preuve du respect qu’ils inspirent. Combien d’années s’écoulèrent avant que ces mahométans d’une jalousie morbide se décidassent à considérer ces religieux comme leurs propres pères ? Après avoir épié leur conduite, Berbères ou Arabes, pleins d’étonnement devant leur vertu, consentent à ce que le « baba » pénètre à sa volonté dans les logis. Chaque fois qu’il vient au village, ils savent qu’il donne un bon conseil, soigne les malades, écrit une lettre,