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Rien de spontané, une douleur collective, rituelle et rythmée.

En vous donnant ce détail pour la mort d’un brave tué par les Allemands, je voudrais vous montrer combien noire tâche de religieux français et l’œuvre de notre gouvernement se heurtent à des difficultés inouïes quand nous devons agir intellectuellement sur ces populations. Il faudrait changer leurs cervelles cristallisées et remplacer leurs cœurs islamisés, pour espérer des résultats rapides de francisation, d’humanisation. Notez-le bien, je ne suis pas un découragé. Au contraire ; malgré les succès difficiles de nos missions, je crois en l’avenir. Depuis quelques années, la France a trouvé le point faible de ces têtes dures et elle obtiendra de plus grands résultats que les Romains, parce qu’elle associe les indigènes à notre système économique dont ils bénéficient. Voilà ce qui les touche. Nous autres religieux, qui visons seulement les âmes et les intelligences avec une telle discrétion que les cadis les plus hostiles ne peuvent nous reprocher aucune pression, mais constater seulement que leurs coreligionnaires viennent à nous spontanément ; nous autres Pères, vous le pensez bien, nous ne possédons pas la clef qui ouvrirait facilement ces êtres fermés : l’intérêt matériel. Mais, si les Berbères chrétiens sont la minorité, notre action rayonne pourtant sur la masse indigène, et il me plairait que vous interrogiez là-dessus les mahométans de l’élite : nous trouvons justice près de ceux qui devraient spécialement nous détester.


— Commençons par visiter des maisons musulmanes, plus tard nous nous rendrons au village des Berbères chrétiens, nous annonce le Père C. Ainsi pourrez-vous juger des changemens qu’apporte, non seulement dans les âmes, mais jusque dans leur vie matérielle, notre religion. D’ailleurs les uns et les autres, je vous en préviens, frappés par cette guerre qui les empêche d’aller vendre aux Arabes du Sud leurs figues et leur huile, ne vous donneront pas une image avantageuse de leur condition. Marchands et colporteurs, ils sont beaucoup plus atteints que les indigènes cultivateurs qui récoltèrent du blé et du sorgho avec abondance en 1915. Dans cette partie de la Berbérie, la production des céréales n’assure pas plus de trente