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Ce n’est là que ma récréation, mon devoir est ailleurs. Il s’agit d’abord de franciser mes enfans bruns, de leur donner une haute idée du génie français et, — sans apostolat, car nous nous défendons de faire aucune pression sur les petits musulmans qui nous sont confiés par leurs parens, — de les pénétrer un peu de la douceur, de la bonté et de la pitié, qui sont les parfums naturels à tous les Européens de tradition chrétienne.

En sa qualité de Breton, le Père G... ne veut pas nous quitter, afin de pouvoir évoquer, chemin faisant, la Bretagne, et s’offre à nous conduire à Ighil-Ali. Sans un introducteur aussi qualifié, nous ne serions pas admis dans les logis, et pourtant, là seulement, nous pourrons constater les résultats de l’œuvre des Pères Blancs.

Notre compatriote coiffe une chéchia neuve, une vraie pivoine, s’arme d’un solide bâton ferré pour escalader les ruelles et, gaillard, nous entraine. Cité saharienne d’aspect avec ses logis en alvéoles, Ighil-Ali possède également des maisons à plusieurs étages en encorbellemens d’une architecture mauresque. Certains bâtimens s’enorgueillissent même de tourelles en forme de pigeonniers.

— Voyez-vous, nous explique le Père C..., ces constructions variées vous donnent l’image assez incohérente des cervelles berbères où paganisme, fétichisme et islamisme s’entremêlent et se nouent comme l’osier d’une corbeille. Par là-dessus, ajoutez comme un souvenir du christianisme primitif, car pourquoi ces Kabyles n’auraient-ils pas été chrétiens à l’époque de saint Augustin ? Certes, ma supposition ne s’appuie sur aucun fait historique ; pourtant quelles singulières découvertes nous faisons parfois de croix entaillées dans les portes d’entrée ! Enfin, fréquemment, les femmes sont tatouées entre les sourcils de petites croix. Mieux encore, les tatouages dans quelques villages imitent le crucifix posé sur son piédestal. Bien entendu, ces dessins traditionnels sont reproduits avec une parfaite ignorance de leur signification. Dans ces conditions, ils ne communiquent aucune vertu spéciale à leurs porteurs qui sont, comme tous les Berbères de cette région, avides de gain. N’affirment-ils pas en riant que Juifs et Mozabites, chez eux, mourraient de maigreur ? Remarquables sont leurs dons commerciaux, trop remarquables même. Nos villageois excellent à vendre leur huile de mauvaise qualité et à maquiller les tissus