Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/406

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devant le couvent, un religieux robuste, vêtu du burnous blanc et de cette chéchia écarlate dédaignée par le postier ; celui-ci nous chuchota :

— C’est le Père C..., mon ancien maître. Tandis que vous lui parlerez, j’irai prévenir le Père supérieur.

Les yeux du religieux, d’un bleu de ciel armoricain dans son visage brûlé par le soleil, nous laissent à supposer que nous avons devant nous un compatriote ; avec une joie profonde, il s’écrie :

— Vous avez deviné, mon Dieu ! Seriez-vous aussi des Bretons comme moi ? Songez qu’il y a vingt-neuf ans que j’habite l’Afrique. Vingt-neuf ans que je bourlingue dans le « bled » et que je n’ai pas entendu le son des voix de chez nous et réjoui mes regards à la fraîcheur des coiffes de nos paysannes. On a beau se donner de toute son âme à sa mission, le cœur retourne souvent au cher village et, en songe, je reviens à nos landes pour me consoler de cette pierraille rouge qui nous entoure.

Vers nous s’en venait d’un pas de guerrier un grand homme drapé à la mode arabe dans la laine fine, au long visage maigre à la fois grave et patient, le Père B..., le supérieur. Nous souhaitant la bienvenue, il ajoute :

— Quoique notre patrie soit engagée dans une terrible guerre, vous goûterez ici la paix. En vous assurant que votre séjour parmi nous sera reposant, ne croyez cependant pas que des ermites comme nous aient toujours été exempts d’inquiétudes. Aux premiers mois des hostilités, nous n’étions pas rassurés au milieu des Kabyles de notre entourage.

Allons donc ! Père, proteste notre compatriote. Vous, pas rassuré ? Vous verriez approcher le martyre sans même froncer les sourcils. Et vous êtes tellement aimé des musulmans les plus endurcis que, même parmi ces gens, vous trouveriez des hommes qui se feraient tuer pour vous, si l’on vous attaquait.

Modestement, le supérieur avoue qu’il n’en doute pas ; certains Kabyles, au péril de leur propre vie, fussent intervenus.

Mais ne préjugeons pas de l’attitude des nombreux ignorans et fanatiques, continue-t-il. Que serait-il arrivé s’ils n’avaient pas été domptés dès le mois de septembre 1914 par notre victoire et par l’énergie prévoyante de notre gouverneur ? En assurant les distributions de céréales qui empêchèrent la famine de nos populations, qui ne vivent que de commerce et