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d’écoliers kabyles. Chaque soir, cette cour est soigneusement close, car le Berbère, « chapardeur » de nature, fùt-il même l’obligé des Pères, ramasserait — le pauvre homme ! — tout ce qu’il trouverait : outils et vêtemens. A travers un corps de bâtiment destiné aux salles d’école, nous pénétrons dans une cour intérieure sur laquelle ouvrent les fenêtres des cellules, du réfectoire et des communs. Un peu en dehors de ces humbles constructions, sans étage sous leurs toitures de toiles à la romaine, se trouve la chapelle. Les mœurs berbères obligèrent les Pères à tenir leur église écartée des regards indiscrets des villageois, et un sentier bordé de haies vives fut tracé, qui permit aux femmes christianisées et aux jeunes filles de l’ouvroir des Sœurs de se rendre aux offices sans risquer d’être aperçues des hommes d’Ighil-Ali. Même les Kabyles convertis éprouvent une certaine angoisse à l’idée d’exposer leurs épouses ou leurs filles à l’examen de leurs voisins. Les religieux durent satisfaire à ce préjugé contre lequel ils luttent avec la discrétion diplomatique nécessaire.

Trois Pères assurent les divers services religieux, scolaire et d’assistance médicale de ce couvent. Sur le chemin, tout à l’heure, nous avions rencontré un petit homme olivâtre, aux yeux de houille, en uniforme de facteur rural. Il s’était offert à nous indiquer le chemin et parlait correctement notre langue. Son allure était celle d’un Européen. Nous le pensions un Vaiencien naturalisé, lorsqu’il éclata de rire :

— Moi ! je ne suis qu’un « bicot, » comme certains colons appellent les indigènes, mais je suis un bicot chrétien, voilà la différence. Je suis marié à une Kabyle convertie. Quand vous visiterez notre village, vous pourrez le constater, nous vivons à peu près comme des Français. Ah ! que d’obligations nous avons aux Pères ! Ils ont fait du gamin déguenillé que j’étais un employé du gouvernement !

Avec quel orgueil le facteur proclame ses fonctions ! Il ajoute aussitôt :

— Je sais lire et écrire votre langue, je pratique la religion catholique, il est donc bien naturel, n’est-ce pas ? que je porte la casquette galonnée et non pas « leur » chéchia.

L’employé, d’une main dédaigneuse, semble repousser tous les porteurs de turban, ses frères de race.

A peine avait-il prononcé ces mots, que nous aperçûmes,