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que la plus grande vigilance ne met pas le parti le plus fort à l’abri d’une surprise ou d’un piège stratégique.

Joignez à cela un brouillard favorable, ou seulement ce que les marins appellent un temps bouché, et vous arriverez à la conclusion que le coup de main, — le coup de main, pas plus ! — reste toujours possible. J’ajoute que la force navale allemande que je mets hypothétiquement en jeu pourrait fort bien tenter le passage du Pas de Calais et de la Manche, ce qui accourcirait singulièrement sa randonnée (900 milles, au lieu de 1 800) et dérouterait ou du moins retarderait singulièrement ainsi les escadres anglaises. Mais le détroit est bien gardé et par des moyens que les grandes unités redoutent, avec raison. Cependant, là aussi, je dis : il n’y a pas impossibilité, et nos ennemis sont gens à tout risquer quand ils verront s’évanouir peu à peu leurs chances normales de se tirer d’affaire.

Reste, une fois le petit corps expéditionnaire débarqué et installé dans sa conquête (je mets à dessein les choses au pis), la difficulté de l’y faire vivre, de l’y maintenir en le ravitaillant au fur et a mesure de ses besoins ; mieux encore, de le renforcer peu à peu et de lui donner les moyens d’entreprendre réellement une action sur notre littoral. C’est là que l’on en revient à la nécessité de la bataille navale, et l’on sait ce que je pense du résultat de cette rencontre. Peut-être, toutefois, réussirait-on à organiser un service de blockade runners entre l’Allemagne et ce corps détaché à l’aventure. Mais combien précaires seraient ces communications, si rapides et si habiles que fussent les navires qu’on y emploierait ! On l’imagine aisément. Et bientôt, les Anglais et nous, nous mettrions fin à l’ « exploit » en allant forcer et capturer dans son île, ou sa presqu’île, l’audacieux envahisseur.


Mais, — soyons logiques, — si nous acceptons comme réalisable cette entreprise sur le littoral français de l’Atlantique, il est difficile de ne pas accepter aussi l’éventualité de l’entrée de la force navale que nous considérons dans la Méditerranée. Ce ne serait que 400 milles de plus à faire pour atteindre Gibraltar, et si l’on avait, comme je le disais plus haut, réussi à devancer de trois jours, moins même, les flottes anglaises, celles-ci n’arriveraient pas à temps pour engager, vers Trafalgar, une nouvelle