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d’eau froide. Le diner est à sept heures et demie ; et comme, nous n’avons pu jusque-là saluer individuellement la duchesse, le commandant nous présente :

— Capitaine Mahon... Capitaine Prosper... Lieutenant de Chadaillac....

— J’ai appris avec regret la mort de votre grand mère, dit la duchesse à ce dernier.

Et la conversation se nouant entre elle et cet officier, qui est de son monde, la série des présentations s’arrête là.

Une maison de grand style et de grande simplicité ; un luxe ancien, classique et comme naturel. Le service discret, parfait ; un menu court, exquis.

Le commandant, qui veut plaire, se lance dans un développement sur les musées d’Italie. Il en est venu là en passant par un portrait de Largillière, qui lui fait face contre le mur de la salle à manger, et il en a deviné l’auteur. Félicité pour cette preuve de compétence, il a parlé de Venise, de Florence et de Rome ; mais il avait affaire à forte partie, et, la maîtresse de maison le poussant, il s’échauffe, sue sang et eau, sur les primitifs italiens.

Dans la soirée, on l’entoure encore, on lui demande de faire danser.

— Que je joue une polka ? répond-il perplexe.

Vieil habitué de music-hall, il a dans la tête plus d’un souvenir de polka, mais ce ne sont que des réminiscences vagues, fortuites, des lambeaux plutôt que des airs.

— Après tout, essayons, dit-il, et d’un jeu rythmé, léger, il retrouve un motif de scie, le varie tant bien que mal et l’accompagne au petit bonheur. Il y a des fausses notes, dit-il, mais d’autre part le piano est faux et par compensation d erreurs, la mélodie juste se trouve rétablie.

La châtelaine sourit : elle avait prévenu : le piano est détestable au point que des touches restent accrochées et ne se relèvent plus.

— N’importe, dit le commandant, nous les décrocherons.

En frappant plus fort, il les décroche en effet, et cependant dans le vieux salon les jeunes officiers et les jeunes filles dansent de légers pas de quatre, changent de main, se campent, repartent pour quatre mesures de galop.

— Encore ! disent-ils, joyeux.

Et le commandant, qui s’éponge, tape autre chose de si gai,