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même que la faim ou l’épuisement de leurs munitions aient fait tomber les armes de leurs mains.

Ainsi l’on en revient toujours à la nécessité de s’assurer, avant tout et au moins pour un laps de temps assez étendu, de la maîtrise de la mer. Or, nous n’avons examiné dans tout ce qui précède que le cas relativement simple du « coup de main, » n’exigeant que le transport d’effectifs restreints. Imagine-t-on les impossibilités en face desquelles on se trouverait, s’il s’agissait de mettre à terre une armée capable de conquérir un grand pays ? Il faut des jours, des semaines pour cela, et l’opération de débarquement n’est, en fait, jamais terminée, puisqu’il faut alimenter constamment de toutes choses ce grand corps si exigeant et, pour obtenir ce résultat, créer une ligne de communications parfaitement sûre où une flotte de vapeurs pourra faire la double navette entre la base primitive et la base secondaire, entre le point de départ et le point d’arrivée de l’expédition.

Mais pourtant, objectera-t-on, si les Allemands avaient été victorieux sur l’Yser et qu’ils eussent occupé nos ports du Pas de Calais, n’auraient-ils pas pu réussir à franchir le détroit en employant des procédés spéciaux de nature à paralyser l’action de la flotte anglaise ?

On l’a dit. Il a été question, après coup, d’une sorte d’avenue constituée, entre Calais et Douvres, par deux doubles ou triples lignes de mines automatiques, gardées par des bâtimens légers et par des sous-marins. Sous la protection de ces deux barrages parallèles, — qui rappellent un peu les « longs murs » reliant Athènes au Pirée, — l’armée d’invasion, empruntant sans doute le concours d’une flottille dans le genre de celle de 1805, aurait atteint la côte anglaise sans avoir rien de sérieux à craindre de la part des Home fleets. A supposer que celles-ci se fussent risquées à franchir ce double rempart, leurs pertes eussent été tellement fortes, sous les coups des mines et des torpilles, que la Hoch see flotte survenant en aurait eu très bon marché.

Nous ne verrons jamais l’exécution de ce beau projet et si l’on pouvait ne se placer qu’au point de vue de « l’art, » on serait tenté de le regretter. En attendant, une foule d’objections se présentent immédiatement à l’esprit : comment la flotte anglaise eût-elle laissé exécuter le long travail de la pose de plusieurs milliers de mines sans intervenir en temps utile ? Sans doute elle avait assez passivement laissé miner la mer du Nord au