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mouvemens très habiles, très compliqués aussi et par conséquent faciles à déjouer, le commandant en chef allemand pourrait les attirer sur des champs de mines préparés à l’avance. Et il ne semble vraiment pas, à en juger par son attitude habituelle, que le haut commandement anglais soit disposé à commettre des imprudences de ce genre.

D’autre part, l’Etat-major de Berlin a un sens trop juste de la guerre pour croire qu’en dehors du plan d’eau de la mer Baltique, dont il s’est réservé la maîtrise, il lui soit permis d’espérer un résultat final avantageux d’opérations stratégiques à grande portée que n’auraient pas précédées des opérations tactiques destinées à établir d’une manière définitive la supériorité de l’un ou de l’autre des belligérans sur le « champ de bataille » maritime. A quoi servirait, par exemple, de dérober quelques marches à la flotte anglaise et de courir, tout essoufflé, jusque dans la Méditerranée, si l’on y devait être, en fin de compte, atteint par l’adversaire et, alors, ou battu et détruit, ou bloqué et paralysé ?

Et pourtant, elle sortira, cette flotte allemande, elle sortira et elle se battra ! Pourquoi donc ?...

D’abord, un moment viendra, prochain peut-être, où l’opinion publique l’exigera. J’ai eu l’occasion déjà de faire remarquer, à propos de la question des sous-marins, quel danger il pouvait y avoir à exalter le sentiment de confiance dans la supériorité de ses moyens d’action, quels qu’ils soient, chez un peuple où une extraordinaire infatuation a complètement aboli le sens critique et qui n’a d’ailleurs jamais eu celui de la mesure. Le gros de la nation allemande est parfaitement convaincu que « sa marine », — et il ne distingue pas bien les diverses modalités de l’organisme très complexe que désigne ce mot, — vaut largement celle de l’odieuse Angleterre, et déjà il s’étonne que « sa flotte, » dont on lui a tant vanté la supériorité technique et militaire, sinon la supériorité numérique, ne se soit pas encore mesurée avec ces escadres ennemies qui n’osent pas l’attaquer et dont la froide, l’impassible réserve lui inspire un dédain moqueur.

Et puis, si lentement que ce soit, les résultats de ce blocus à grande distance exercé par une flotte invisible ne laissent pas de se faire sentir, de s’aggraver tous les jours. L’Allemagne se resserre, s’appauvrit. L’exaspération sera bientôt à son