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la bonne femme qui voudra bien nous servir l’omelette et nous verser le pichet de vin.


La Petite-Justice, 4 septembre.

Joli exemple de marche échelonnée ce matin. Le groupe des trois batteries auquel j’appartiens avait à se transporter en plaine au-devant d’un adversaire en position ; ce mouvement délicat ne pouvait être fait à la légère, mais demandait de l’étude, une préparation.

Un rideau de bois facilitait notre première approche. Je dus me porter avant les autres jusque derrière cet écran. J’y parvins sans peine par une marche serpentine, utilisant tantôt les reliefs du sol, tantôt les cultures et, posté là à la dérobée, j’ouvris le feu. Cette provocation aurait détourné vers moi l’attention de l’adversaire ; il m’aurait cherché dans le paysage sans me découvrir ; le duel d’artillerie aurait bientôt tourné à mon avantage ; ce premier affaiblissement de ses forces aurait permis aux deux autres batteries d’entrer en ligne ; et non pas furtivement, comme moi, mais d’une manière plus hardie, en se portant de l’autre côté du rideau qui me couvre et redoublant mes coups contre l’adversaire ébranlé déjà partiellement par mon tir.

Notre manœuvre se développe de la sorte. Quand les deux autres batteries ont pris position à l’avant du bois, je vais les rejoindre, par un nouveau mouvement de tiroir ; le groupe entier se trouve réuni sous le commandement de son chef d’escadron. Cet échelonnement nous a paru à tous rationnel et satisfaisant ; mais nous seuls en avons conscience : il passe inaperçu du haut commandement ; et quand, une heure après, nous arrivons au cercle où se tient la critique, nous nous fondons dans la masse ; il n’est plus question de ce que nous avons fait.

Moins cohérentes, plus décousues, ont été les opérations de l’infanterie. C’est qu’aussi sa tâche était plus vaste, son théâtre plus étendu. La complexité du problème tactique excluait toute solution rationnelle et ne permettait plus qu’un cachet d’élégance ornât la décision du commandement. Ainsi, dans un atelier où travaillent plusieurs machines-outils, on n’aperçoit que poulies, courroies, transmissions obliques, une forêt enchevêtrée où disparaît toute idée d’ensemble. Si quelque forme géométrique apparaît dans ce chaos, ce ne peut être que dans son détail. On voit alors un balancier lever, puis abaisser son