Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

profond. On revient à la formule : voir sans être vu, que les anciens artilleurs appliquaient au pointeur penché sur sa culasse et plaçant l’œil à la hausse de son canon.

Le capitaine voit et il dérobe entièrement aux vues son matériel et son personnel. Le plus qu’on puisse faire alors est d’occuper la ligne de défilement du matériel. Et bientôt, l’artillerie étant décidément entrée dans la mêlée et n’ayant plus d’autre rôle que d’accompagner l’infanterie amie à la conquête du terrain, tout devient position ; tout couvert est suffisant, la moindre haie, la moindre culture, une ride du terrain ; on s’établit là où l’on peut, là où l’on doit ; le temps manque pour délibérer un choix ; tout retard causé par une indécision sur l’emplacement allongerait le temps, mort pour l’action, pendant lequel l’artillerie se déplace et va vers l’action, le capitaine n’a pour se résoudre que le répit qu’il gagne à coups d’éperon, que l’avance prise sur ses attelages qui trottent, par sa monture qui galope. Comment, à ces minutes critiques, pourrait-il se soucier encore de sécurité ?

Or, la situation qui s’offre à moi, quand j’accède à ce plateau de Villechavant, est une de ces situations moyennes qui s’accommodent d’une solution de juste milieu. Pas d’artillerie devant nous : nous avons donc, sur celle qui pourrait paraître, l’avantage de la priorité ; mais un combat d’infanterie très profond, qui se dispute à six cents mètres par des lignes de tirailleurs affrontées l’une à l’autre et que des réserves en marche dans toutes les parties du paysage s’apprêtent à venir soutenir. On en voit qui foisonnent aux lisières de Villebougis. Ayant à franchir un espace découvert, dominé par notre canon, elles courent au pas gymnastique se blottir dans un bois ; et par la clairière à l’Est de Saint-Georges, d’autres abondent, bouillent à l’envi dans le récipient de ces bois.

En même temps que je surveille ces arrière-plans, je tiens le glacis du plateau sous mon feu prêt à intervenir si un nouvel ennemi voulait refouler la ligne frêle de nos tirailleurs. Il y a quelques coups de canon épisodiques, sur un fanion du général, sur un escadron ennemi qui file au bord du plateau, à peine visible sous les pommiers. L’attente où nous sommes pourrait se prolonger davantage, mais la sonnerie intervient. Les grandes haltes s’installent ; les feux s’allument pour le café ; et tandis qu’hommes et chevaux se reposent, nous nous écartons de deux cents mètres, cherchant aux premières maisons de Villechavant