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depuis les travaux scientifiques accomplis à la cour de ces souverains par les missionnaires catholiques, une telle erreur et illusion, pour les lettrés et les gens instruits du moins, n’était plus possible. Mais le peuple y persévérait et l’orgueil chinois trouvait avantage à s’y complaire. Aujourd’hui pourtant, en présence des faits, après le service rendu par les trois Puissances de l’Ouest et devant le danger possible d’une nouvelle agression japonaise, la Chine était bien forcée de se convaincre, de se pénétrer de la réalité. Il était clair qu’il y avait dans le monde d’autres Puissances que la Chine, que, sans le secours de trois de ces Puissances, la Chine eût été sous le joug de son voisin immédiat, de ces Japonais qu’elle appelait encore les « Barbares de l’Est (Wo-jen), » et que, pour se garantir contre de nouvelles menaces de ce voisin, elle ferait bien de s’appuyer sur telle ou telle des Puissances qui déjà l’avaient sauvée. La Russie, d’autre part, sentait, pour les nécessités de sa politique, pour le développement de ses possessions orientales, l’avantage qu’elle aurait à pouvoir compter sur la Chine, sur la situation géographique, le littoral et les ports, au moins septentrionaux, d’un Empire dont elle était elle-même limitrophe sur une si longue étendue de frontière. Un an à peine après la révision du traité de Shimonoseki, la Russie proposait à la Chine un traité d’alliance, accompagné d’un projet de contrat aux termes duquel, pour pouvoir communiquer librement et sûrement avec le Céleste-Empire, elle aurait la faculté de faire passer en territoire chinois, à travers la Mandchourie, la ligne de chemin de fer qu’elle était en train de construire entre Saint-Pétersbourg et Wladiwostock.

C’est pendant les fêtes du couronnement du tsar Nicolas II, à Moscou même, qu’eurent lieu entre les ministres du Tsar et l’ambassadeur extraordinaire qui représentait la Chine à ces fêtes, le vice-roi Li-hong-tchang, les pourparlers préliminaires où l’alliance se décida. — Li-hong-tchang qui, pour la première fois, voyait l’Europe, un souverain et des ministres d’Occident, mais qu’une longue expérience des affaires, une intuition géniale de la politique de l’univers et le sentiment très vif de la situation présente et des intérêts de la Chine avaient dûment préparé au rôle qui allait être le sien, n’hésita pas. Il comprit que l’heure était venue pour la Chine de renoncer à son rêve solitaire, à sa tour d’ivoire ou de porcelaine, et d’entrer résolument