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exorcisé une fatalité historique et préservé la Chine contre les conséquences de la suprême défaite.

Cette intervention des trois Puissances de l’Ouest, celle de la France surtout qui devait sentir quelque gêne de voir l’Allemagne se glisser en tiers entre elle et la Russie, a été, au moment même où elle s’est produite, l’objet chez nous-mêmes de très vives critiques dont le principal interprète fut au Parlement un homme dès lors appelé et promis au plus grand et au plus légitime avenir, M. Alexandre Millerand. A ces critiques, dont quelques-unes n’étaient pas sans force ni valeur, le, ministre des Affaires étrangères de 1895, M. Gabriel Hanotaux, opposa des raisons à notre avis plus décisives et dont les deux plus impérieuses étaient, la première la nécessité pour la France de soutenir l’intérêt de notre nouvelle alliée, la Russie, la seconde l’obligation que nous imposaient les traités antérieurs, les droits acquis, le souci de notre situation politique et économique, de ne pas délaisser et abandonner au profit exclusif du nouveau conquérant les bénéfices et avantages déjà obtenus. La France défendait, avec sa propre cause et celle de la Russie, dans un Empire avec lequel la Russie et elle-même avaient une large frontière commune, la cause même de l’Occident et de son action en Asie. Elle s’était attachée, d’ailleurs, comme la Russie elle-même, à donner à sa démarche auprès du gouvernement japonais le caractère en effet le plus amical, le plus conciliant, le plus propre à conserver intactes ses relations présentes et futures avec le grand Empire nippon dont elle n’avait pas été la dernière à pressentir et à saluer l’avènement.

L’effet le plus immédiat de l’intervention qui suivit la paix de Shimonoseki fut, en tout cas, après avoir sauvé et préservé l’intégrité et l’indépendance du territoire continental chinois, d’interrompre et de prescrire la politique d’isolement et d’exclusion dans laquelle la Chine s’était jusqu’alors renfermée. La Chine s’était crue longtemps et de bonne foi le centre et l’ombilic du monde, le véritable Empire du Milieu, dont les autres nations et États n’étaient que les vassaux, les tributaires, les plus ou moins lointaines dépendances. Sur les cartes chinoises répandues et vulgarisées dans le peuple, l’Espagne était représentée par la petite île de Luzon, l’Angleterre ne figurait que comme une autre petite île perdue au fond de l’horizon occidental, etc.-, etc. Depuis les empereurs Kang-Hi et Kien-long,