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indiquer et exposer ici à l’aide de nos propres souvenirs et de quelques-uns des travaux qui, en France comme en Angleterre, en Russie, en Chine et au Japon, ont été consacrés à la période si décisive des vingt dernières années, de 1894 à 1915.


I

Cette période de vingt années s’ouvre par la guerre sino-japonaise, à la date du 31 juillet 1894.

La Chine et le Japon avaient à vider entre elles une vieille querelle, celle de savoir à qui appartiendrait l’influence prépondérante, le pouvoir, la domination en Corée, cette presqu’île dite du Calme-Matin qui a été si souvent l’outre des tempêtes, et qui a joué, dans les rapports entre les deux Empires de l’Extrême-Orient, le rôle joué jadis par la Haute-Italie dans les relations entre la France et le Saint Empire germanique. Ou plutôt la guerre sino-japonaise a été l’occasion, qui devait forcément éclater, de décider par la force des armes lequel des deux Empires exercerait l’hégémonie, serait le maître dans l’Asie orientale où, à plusieurs reprises déjà et à de longs intervalles, ils avaient été tentés de se défier et de se mesurer. Dans ce duel, la Chine, malgré l’énormité de son poids, de sa masse, de sa densité, malgré l’immensité de ses ressources virtuelles et de ses possibilités indéfinies, était d’avance vaincue par son prompt, agile et nerveux adversaire, qui, aux vertus, à l’élan d’une armée et d’une flotte admirablement préparées, unissait la parfaite sûreté, la méthode d’une politique réfléchie, consciente du but et des moyens, et tendue par un constant effort vers l’objet à atteindre. Si la Chine et le Japon étaient restés seuls en présence, il est probable qu’après la bataille navale du Ya-lou et la prise de Port-Arthur, la Chine, selon la loi invariable de son histoire, aurait vu son ennemi et vainqueur libre de disposer d’elle et d’installer à Pékin, sinon, comme jadis les Mongols et les Mandchoux, une dynastie nouvelle, du moins une sorte de protectorat dominateur et tout-puissant. C’est l’intervention, après la paix de Shimonoseki, de la Russie, de la France et de l’Allemagne, c’est le conseil amical donné par elles au Japon de ne pas maintenir l’annexion de la presqu’île du Liao-toung et de Port-Arthur qui a conjuré le péril,