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fait des couvertures avec des vieux journaux et des matelas avec du papier haché, en guise de laine. Malgré les quantités de matières premières enlevées dans les territoires occupés et estimées, pour la laine seule, d’après un communiqué officiel, à 625 millions de francs, la hausse des tissus est énorme pour la population civile.

Pour l’armée, l’Allemagne avait largement de quoi l’habiller au moment de la déclaration de guerre, mais elle n’avait pas de marchandises de réserve. L’administration, que le Reichstag avait chapitrée pour avoir fait une provision de 25 millions de draps, s’était bornée à passer contrats par avance avec des entrepreneurs, qui se trouvèrent incapables de tenir leurs engagemens. Aujourd’hui, chacun des dix-huit magasins de corps fabrique, pour les troupes qui dépendent de lui, les uniformes et les chaussures « en telle abondance, dit un fonctionnaire, que nous en pourrions fournir les 4 millions d’Anglais et les 6 millions de Russes. »

Le bluff allemand est ici d’autant plus grossier que les journaux conseillent à la population de remplacer les chaussures de cuir, qui coûtent 37 francs, par des sabots ou du moins par des bottines en toile à voiles, pour la partie supérieure, dont la cambrure, la semelle et le talon sont de minces feuilles de bois collées, « ce qui, dit-on, est très chaud. » L’Allemagne exportait avant la guerre de la peausserie de luxe, — 30 millions encore en 1914, — la plus grande partie en Autriche, Suisse et Danemark. Au début, la « Société des Peaux Brutes » et celle du « Cuir de guerre » ayant réquisitionné depuis les stocks des cordonniers et des tanneurs, jusqu’aux bouchers et aux abattoirs, et les intendances enchérissant les unes sur les autres dans leurs achats, la spéculation fit monter les prix par bonds rapides jusqu’au triple du temps de paix, pour les peaux de vaches entières, et davantage pour certaines parties comme le « flanc. »

Les fabricans de cuir réalisèrent de gros profits ; on cite la maison Adler et Oppenheimer, de Strasbourg, comme ayant travaillé sur le pied d’un bénéfice de 100 pour 100 de son capital de 15 millions de francs. Pour limiter ces gains, ou pour en prendre sa part, l’administration militaire exigea des tanneurs le versement de fr. 62 par livre de peau brute employée ; de sorte qu’en tirant ainsi un revenu de l’élévation des cours, elle