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bien notables, malgré l’affirmation de la presse que l’on n’utilise plus pour les explosifs un kilo de coton.

Le souci de l’économie se manifeste par des conseils ou par des prohibitions : on recommande dans les paroisses de ne pas habiller de neuf les premiers communians ; inutile de mettre les garçons en noir et les filles en blanc. Le général commandant à Nuremberg la IIIe division bavaroise invite les femmes, qui « se croient obligées de porter des jupes très amples et de hautes bottines, et qui emploient ainsi de grandes quantités d’étoffe et de cuir en pure perte, à se contenter, vu la gravité des temps, de vêtemens étroits et de chaussures basses. »

On s’est égayé de cette charge d’un militaire contre une mode qu’il déclare « ridicule ; » que cette mode soit plus ou moins esthétique, je ne sais, et il n’y a qu’un général allemand capable de dire si elle est ou non « patriotique. » Mais qu’une mode, née sous les feux croisés des canons, dans l’horreur du sang, des larmes et des deuils, ait pu radicalement transformer les corps féminins de l’Europe et sans doute de l’univers, qui ressemblaient au commencement de la guerre à des crayons et qui ressemblent maintenant à des amphores ; que cette mode se soit imposée aux épouses, filles ou sœurs des belligérans, malgré les tranchées et les blocus ; de sorte qu’elle représente, au milieu de ce choc effrayant des peuples, où les internationalistes professionnels ont abdiqué, un vestige triomphant d’internationalisme : celui de la toilette du beau sexe ; voilà, semble-t-il, un mystère de psychologie et de « panurgisme » où les philosophes trouveront de quoi s’amuser et les couturiers de quoi s’enorgueillir.

Les autorités allemandes agissent aussi par voie de coercition : le Conseil fédéral, pour ménager la vente des étoffes et des vêtemens, a récemment interdit aux magasins de nouveautés « tous procédés susceptibles d’accélérer l’écoulement des marchandises, tels que les expositions de saison, les liquidations ou articles-réclames. » Ces règlemens, dit la Gazette de Cologne, « ne sont pas une preuve de pénurie, mais seulement la volonté d’être armé et d’être prêt. »

Le coton ne manque pas encore, puisqu’il n’y a pas longtemps le gouvernement en mettait 100 000 balles à la disposition des filatures qui travaillent pour l’armée. Mais il devient rare ; pour la ouate, on cherche à lui substituer le lin, comme on