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De pétrole, en Turquie, il n’en faut plus parler ; c’est un article pratiquement disparu. Le Tanine exhorte les gens qui en manquent à songer la nuit à l’avenir lumineux que la guerre prépare à leur postérité. Quant au charbon, il est coûteux et rare sur les rives du Bosphore. Le seul point où Constantinople puisse s’approvisionner est sur la Mer-Noire, c’est-à-dire à portée de la flotte russe. Le Gœben et le Breslau ont remorqué des convois partis du port de Saynldagh, qui ne cessait d’être bombardé. La nécessité et de grosses primes ont poussé des hommes entreprenans à tenter ce voyage périlleux. Qu’adviendrait-il, si le Gœben éprouvait quelque accident ?

Quand ces arrivages se font attendre, on économise sur les provisions des chemins de fer, de la flotte ; on modère la lumière électrique et la marche des tramways, mais on ne peut arrêter les moulins sans risquer la disette. La question du charbon est liée en effet à celle de la farine ; les moulins qui travaillent pour la capitale ottomane sont presque tous mus à l’électricité ; les moulins à eau ou à vent ne comptent pas. Les envois de houille par terre sont difficiles avec une ligne unique de chemin de fer, accaparée encore par l’administration militaire et manquant le plus souvent de wagons.

Le ministre Talaat a assuré au Sénat que le gouvernement, « en achetant des vivres à l’étranger, avait réussi à assurer l’alimentation du peuple pour au moins deux ans. » Mais c’est une pure fable. Un Allemand, retour de Constantinople, avouait il y a six semaines qu’ « étant donné l’indolence orientale, on n’a pu obtenir aucune organisation sérieuse pour le blé. »

En Anatolie, les réquisitions militaires ont raréfié les moyens de transport et, depuis dix-huit mois, elles ont fait le vide dans le voisinage des voies ferrées. « Nous mangeons, dit un Turc, du pain fabriqué avec du blé roumain. Ce pain-là est très blanc, mais il n’est pas rassurant pour nous d’en être réduit à compter sur les Balkans. A la moindre offensive russe sur le front de Bessarabie et de Bukovine, à la moindre oscillation de la politique roumaine, les livraisons deviennent problématiques. Puis, avant que les céréales ne parviennent à la Corne d’Or, il y a tant de questions à résoudre !... »

Les cartes de pain, existent présentement à Constantinople, comme en Allemagne ; la gêne est grande, mais le calme est complet. « Il faut avoir vu, dit un voyageur, avec quelle impassibilité,