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V

Les alliés de l’Allemagne, plus pauvres, moins bien outillés, souffrent davantage de la perturbation apportée par la guerre. La vie, en Autriche-Hongrie, en Turquie, en Bulgarie même, dont on a utilisé les produits indigènes sans presque lui rien apporter du dehors, est aujourd’hui plus chère qu’en Allemagne. Les agens autrichiens, jusqu’à ces derniers mois, payaient en Hollande pour certains articles des prix plus élevés que les Allemands. Ceux-ci avaient de ce fait beaucoup de peine à conclure leurs marchés. Pour obvier à cette concurrence, la commission berlinoise chargée du contrôle des achats faits à l’étranger centralise maintenant toutes les marchandises pénétrant dans l’Empire. Dès lors il devient impossible à l’Autriche de se ravitailler en Hollande ; elle doit passer par Berlin et verser un courtage à ses alliés.

Quelle qu’en soit la cause, les prix de détail de toutes les denrées, blé ou viande, lait ou légumes, sont plus élevés à Vienne qu’à Berlin et plus élevés à Buda-Pesth qu’à Vienne. Je ne parle pas du Trentin, où les saucisses se paient 10 fr. 50 le kilo. La volaille, qui vaut 6 francs, à Berlin, en vaut 10 à Pesth et les oies 22 francs ; le sucre, 111 francs le quintal en gros contre 38 francs en Allemagne. Les Etats de François-Joseph n’ont jamais été plus « dualistes ; » unis jusqu’à la farine exclusivement, ils mêlent leur sang sur les champs de bataille plus volontiers que leurs denrées pour la cuisine. Dans le dernier trimestre de 1915, on a consommé à Vienne moitié moins de bœufs et de porcs que dans le trimestre correspondant de 1914 et, au prix où se paye le blé venu de Roumanie, il est clair que la classe ouvrière ne mangera pas à sa faim.

D’autant plus que les salaires restent bas, quoiqu’il y ait beaucoup moins de main-d’œuvre. On emploie des prisonniers russes à 25 et 30 centimes par jour. La consommation se restreint, en même temps que la vie civile se ralentit ; 55 à 60 pour 100 des brasseries sont fermées. Le charbon, quoiqu’il soit monté depuis 1914 de 38 francs à 50 francs la tonne, nous parait pour rien ; mais le pétrole lampant à 47 centimes le litre et l’essence à 91 centimes, non compris l’impôt, sont une preuve que la production actuelle en Galicie est loin d’atteindre ses chiffres antérieurs.