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dans leurs fonctions domestiques, d’un petit tract intitulé : La cuisine avec peu de graisse. A tous les citoyens on prêche l’économie du savon dans leur toilette : « C’est un préjugé de l’employer en abondance ; il suffit qu’il touche la peau, il en faut très peu pour se bien laver. »


III

« Peut-on dire, demande un journaliste allemand, que la population de Berlin désire très vivement ne point voir cinq cents femmes, gardées par deux agens de police, attendre devant la porte du marchand de beurre ? Peut-on dire que tout Berlinois de bon sens ne considère pas cette scène comme le complément du tableau de Berlin en temps de guerre ? » La scène, en effet, parut si peu plaisante, surtout à celles qui devaient la jouer régulièrement, que la patience leur manqua ; il y eut pour le beurre des émeutes, que l’on prit à tort chez nous pour des manifestations politiques ; mais tout de même, dans ces mutineries, le sang coula.

Le beurre coûte officiellement 3 fr. 35 la livre dans la capitale prussienne, où il se vendait 2 francs l’an dernier. Comme il vaut meilleur marché en Wurtemberg et en Bavière, où d’ailleurs les cartes de beurre ne donnent droit qu’à 125 grammes par semaine, les polémiques vont leur train entre confédérés, et les gens du Nord reprochent aigrement aux Bavarois l’égoïsme qui les porte à faire beurre à part. A quoi les gazettes de Munich ripostent que, si le beurre fait brèche à l’unité politique et militaire de l’Empire, c’est que Berlin, où il s’en consommait annuellement 15 kilos par tête, — cinq fois plus qu’en Bavière, — « tirait 80 pour 100 de sa subsistance de l’étranger. »

En effet, l’Allemagne importait, en 1913, 55 000 tonnes de beurre. De la Hollande seule, en 1915, elle a tiré 28 000 tonnes qui sans doute lui manquent aujourd’hui. Sur ce chapitre, la législation germanique en est revenue au « chacun pour soi » du Moyen Age : les Badois, tout en se plaignant que les Wurtembergeois leur refusent du beurre, le refusent eux-mêmes à l’Alsace-Lorraine ; les juges du Grand-Duché condamnent à l’amende le marchand de Kehl qui transporte du beurre à Strasbourg sans une autorisation, que du reste on ne délivre guère.