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Or cette même viande coûtait moitié il y a un an et moins de moitié en 1914. La cherté est chose relative ; pour bien apprécier celle qui sévit aujourd’hui au delà du Rhin, il ne faut pas oublier que le prix de la vie en général, quoiqu’il se fût élevé depuis quinze ans, était beaucoup plus bas que chez nous, comme d’ailleurs les salaires restaient inférieurs aux nôtres. Une enquête faite à Brème en décembre dernier par le Syndicat des métiers, chez 787 ménages ouvriers, constate qu’un tiers d’entre eux gagnaient moins de 31 francs par semaine et 130 moins de 25 francs. Rien d’étonnant si une cinquantaine déclarent ne pas consommer de viande. Chez les 735 autres qui en achètent, cet aliment représente 1 fr. 25 par semaine et par tête ; la graisse (beurre et margarine) compte pour 1 franc. Dans une famille de cinq personnes, le doublement du prix de ces deux seuls articles se traduit par plus de 11 francs par semaine ou par une restriction de moitié dans leur consommation.

L’autorité les incline d’ailleurs à cette dernière solution et même la leur prescrit, puisque les cartes de rationnement, instituées à Berlin fin février, donnent droit à une livre et demie de viande et à une demi-livre de graisse de porc par quinzaine et par personne ; on ne peut pénétrer qu’à certain jour, suivant la couleur de sa carte, chez le charcutier ou la bouchère.

Celle-ci se plaint de ne pas gagner sa vie : « On ne se fait pas idée, dit-elle, de ce que nous y mettons de notre poche avec le porc municipal... ; attendez, si la guerre dure encore un an, les cliens mendieront un morceau de viande. » En attendant, le jambon se paie, à Leipzig, 5 fr. 40 la livre depuis avril, le porc frais et le lard 4 fr. 60, le boudin 4 francs. En un mois, l’augmentation a été de 8 pour 100 et l’on s’attend à voir restreindre la fabrication des saucisses ; ce qui, dans un pays où l’on mangeait deux fois plus de porc que chez nous, est aussi grave que de remanier la Constitution.

Les prix ci-dessus ne sont pas les maxima officiels ; ces derniers sont plus bas d’un tiers, tout en étant supérieurs encore de 80 pour 100 aux chiffres de 1913. Seulement, en dépit de l’observation minutieuse à laquelle les cours sont censés soumis par le « Bureau central d’examen pour les prix des denrées alimentaires, » les maxima sont peu observés : comme ils ne